Pour le politologue égyptien Hassan Nafâa, les islamistes, les salafistes particulièrement, ont tenté, lors de la mobilisation d'hier, de détourner la révolution de ses objectifs. «Ils ont commis une grave dérive, alors qu'ils étaient sur la place Tahrir» pour renverser le régime de Moubarak, dit-il. - La place Tahrir a connu un vendredi différent de ceux de la révolution. Les islamistes ont fait une démonstration de force et ont tenté de donner à la révolution un autre contenu. Que s'est-il passé ? Effectivement, il y a eu division et morcellement au sein des forces de la révolution et sortie des règles du jeu établies depuis le 25 janvier dernier à cause des islamistes qui ont voulu imposer leur mot d'ordre. A la veille de la mobilisation, toutes les composantes de la révolution se sont entendues pour un vendredi unitaire, avec des mots d'ordre appelant à l'unité des rangs pour mettre plus de pression sur le pouvoir exécutif afin d'accélérer le processus révolutionnaire. Mais le courant islamiste – notamment salafiste – a mis en avant des revendications et des slogans qui n'ont rien à voir avec les objectifs de la révolution. Les salafistes scandaient «islamiya, islamiya» et appelaient à l'application de la charia, arborant des drapeaux saoudiens. Ils ont commis une grave dérive qui risque de coûter cher à la révolution, cette révolution qui a réussi jusque-là à faire tomber l'ancien régime alors que les salafistes n'ont joué aucun rôle. Il faut rappeler que les salafistes, pendant les premiers jours de la révolution, s'opposaient à ceux qui demandaient le départ de Moubarak. - Les islamistes exprimaient également leur soutien au Conseil suprême des forces armées. Pourquoi, selon vous ? Le Conseil militaire qui dirige le pays n'a jamais fait l'objet d'accusation. Cependant, des mobilisations permanentes maintenaient la pression sur le pouvoir exécutif (le gouvernement et le Conseil suprême des forces armées) parce que nous avons constaté un retard dans le jugement du président déchu, du ministre de l'Intérieur, Habib Lâadeli, et de tous les symboles de l'ancien régime. Idem pour ce qui est des tribunaux militaires qui continuent à juger des civils, tout comme la volonté de retarder la mise en place d'un salaire minimum garanti fixé par la révolution. C'est le but de la mobilisation d'aujourd'hui (hier, ndlr), alors que les islamistes l'ont détournée en avançant des slogans totalement étrangers à la révolution. Ils s'éloignent de la révolution et prêtent allégeance au Conseil militaire. - A quoi est dû justement ce ralentissement dans le jugement de Moubarak et l'engagement réel dans une ère nouvelle ? Il faut souligner que le Conseil suprême des forces armées est de tendance réformiste et n'a pas adopté toutes les revendications de la révolution. Il considère que seules quelques réformes suffiraient à mettre fin à la mobilisation, alors qu'il s'agit d'une révolution. A cela s'ajoute la pression des forces régionales et internationales qui ne veulent pas voir la révolution égyptienne aboutir parce que cela mettrait en péril leurs intérêts stratégiques dans la région.
- Quelle leçon tirer des événements de ce vendredi ? J'estime que ce qui passé aujourd'hui envoie un message très fort aux forces politiques nationales. Elles sont interpellées plus que jamais ; elles doivent s'entendre, se mettre d'accord pour faire triompher la révolution, punir tous ceux qui veulent sortir de la ligne tracée par la jeunesse égyptienne depuis le 25 janvier. Nous n'accepterons pas que la révolution soit détournée de ses objectifs. Ce qui s'est passé aujourd'hui est un signe qui ne rassure pas et risque de porter atteinte à l'avenir politique égyptien. Les Egyptiens se sont élevés contre la dictature et le despotisme de Moubarak et son régime, mais pas pour se jeter dans les bras d'une autre tyrannie. Nous allons nous battre, avec la même force, pour un système politique démocratique qui consacre toutes les libertés.