15 avril 1999, puis 8 avril 2004 et enfin 31 décembre 2005. Le président Abdelaziz Bouteflika aura réussi une prouesse inédite de se faire plébisciter à trois reprises. Son retour au pays après sa longue convalescence, qui aurait pu être un moment pour ainsi dire « normal », a été célébré avec faste. Avait-il vraiment besoin de s'offrir un bain de foule à Alger et de mobiliser tout le pays dans cette fiesta des grands jours ? M. Bouteflika l'a visiblement voulu et il l'a eu. Il a sans doute voulu frapper les esprits par sa capacité de mobiliser. Dire que, même malade, je n'en reste pas moins populaire. Adulé, soutenu surtout. Le message politique n'échappe à personne. A n'en point douter, le 31 décembre est désormais une date phare qui sera cataloguée en bonne place dans l'agenda officiel. Elle marque le retour du « président prodige ». Elle signifie également l'énième onction populaire à un homme qui adore se ressourcer dans les bains de foule, histoire de tâter encore le pouls de l'Algérie d'en bas. Celle-ci le lui rend régulièrement bien, à son grand bonheur. Comme en ce samedi 31 décembre... Eloigné du pays pendant 35 jours, les rumeurs les plus folles aidant, M. Bouteflika avait à cœur de prouver qu'il est là. Qu'il est encore capable de mener le pays et surtout que sa maladie - dont il n'a pas parlé au demeurant - n'est qu'un mauvais souvenir. Il y avait chez lui, perceptible, ce souci de projeter l'image d'un homme tout à fait guéri, d'un chef d'Etat en possession de la plénitude de ses forces et d'une volonté de (re)plonger sans délai dans le chantier Algérie. « Ayant recouvré ma santé, je retrouve aujourd'hui mes pleines capacités pour poursuivre la mise en œuvre du programme dont vous m'avez chargé, en toute confiance, d'initier un programme qui vise, en premier lieu, à consacrer la sécurité du citoyen et le bien-être de notre peuple. » En prononçant cette phrase, M. Bouteflika sait qu'il répond à une lancinante question que se posaient tous les Algériens : pourra-t-il encore gouverner ? Dans le même temps, il met fin aux rumeurs qui se faisaient entendre sur sa succession. Trêve de spéculation, semble vouloir dire le Président, tout heureux de retrouver son peuple pour un nouveau... bail. La mise au point faite, le Président a pris le soin de réussir son entrée en matière. A l'aéroport déjà, il marque un grand coup en allant couvrir son visage de l'emblème national qu'il a embrassé. Certains ont même débusqué une larme écrasée au contact du drapeau. Par ce geste émouvant, il est vrai, M. Bouteflika, si connaisseur de son peuple, a titillé la fibre patriotique à fleur de peau des petites gens. Il n'en fallait pas plus pour se voir happer par ces marées humaines massées tout au long des rues d'Alger. Entre les milliers d'anonymes citoyens et leur Président, la fusion était totale. La démarche un peu fatiguée, le geste lent, l'homme ne s'est tout de même pas empêché de se mêler à la foule et de faire des centaines de mètres à pied. L'enjeu en valait la peine. Souriant d'avoir réussi son come-back, le Président voulait manifestement remercier à sa manière ce peuple venu de partout l'accueillir. C'était tellement important à ses yeux qu'il fallait faire cet effort, parce que, au bout, les dividendes politiques à tirer en pareille circonstance sont énormes. Pour lui bien sûr. Au sortir de son bain de foule, Abdelaziz Bouteflika est une nouvelle fois libéré. On l'a senti. Il l'a dit. « Je m'engage de nouveau à poursuivre, grâce à votre soutien, citoyens et institutions, mes efforts en vue de conférer davantage de rationalité à l'Etat... » A l'adresse de ces Algériens qui lui ont fait un triomphe, il invoque à plusieurs reprises Dieu et sa volonté pour commenter l'épreuve de sa maladie. Dans son message au peuple algérien gorgé de spiritualité, le Président a donné une dimension quasi mystique à sa maladie. Ayant certainement mal vécu cette fatalité divine qu'était sa maladie, M. Bouteflika semble désormais s'en remettre à Dieu dans tout ce qu'il entreprendra. C'est pourquoi il invite les Algériens à prier pour lui pour l'aider à s'acquitter de sa mission. Cependant, à quelque chose malheur est bon et M. Bouteflika était sans doute l'homme le plus heureux du monde, samedi. « Si la guérison est un des bienfaits dont Dieu gratifie les humains, gagner les cœurs est, incontestablement, la plus grande et la plus précieuse des bénédictions. » Autrement dit, il est certes content d'être guéri de son mal, mais il l'est d'autant plus qu'il a été accueilli comme un « sauveur » et que sa cote de popularité demeure intacte. Il s'enorgueillit de ce que « vous m'avez honoré d'une confiance sans nulle autre pareille dans notre chère patrie ». Voilà qui résume parfaitement la symbolique de ce retour, mais surtout l'enjeu de la foule. Désormais, ce sont les nouvelles années de M. Bouteflika qui commencent.