La forêt et les paysages majestueux qui nous accompagnent tout au long de la route qui relie la RN 11 au marabout de Sidi Sémiane nous ont rendu insensibles à la chaleur étouffante de cette journée du mercredi. Pourtant, le mercure affichait 36°C. Nos regards se perdent dans les horizons lointains aux couleurs naturelles. Les montagnes sont imposantes. Hormis quelques dizaines de mètres endommagés par le va-et-vient des camions de gros tonnage, le chemin de wilaya qui mène vers la commune rurale déshéritée et démunie de Sidi Sémiane demeure en bon état. Quelques carrières fonctionnent. Rares sont les personnes que nous croisons durant notre parcours estimé à 17 km. La loi de l'enclavement. La cour du marabout de Sidi Sémiane est déjà occupée par des grappes de femmes enveloppées dans leurs hidjabs, les autres dans leurs tenues traditionnelles purement berbères. Il s'agit d'un semblant de marché hebdomadaire exploité par des femmes. Certaines viennent des douars environnants, d'autres de Sidi Ghilès, d'ailleurs, une d'entre elles avoue qu'elle est venue de Hadjout (55 km). Vêtements simples, biscuits, bonbons, articles d'artisanat, huile d'olive, amandes, miel pur, blé moulu, savons… tels sont les quelques produits, en petites quantités, parmi tant d'autres mis par terre par ces femmes qui les proposent à la vente. Elles se connaissent et discutent à voix basse dès que notre silhouette jaillit inopinément au milieu de ce monde de femmes. Quand la vente n'a pas lieu, quelques vendeuses procèdent au troc, selon la nécessité. Une vente de 10 DA représente quelque chose d'important pour elles. Elles parlent en berbère. Moins bavardes avec l'homme visiteur, leurs visages sont marqués par la fatigue et leur difficile quotidien. Elles parlent en berbère Les femmes des douars de Sidi Sémiane n'attendent que la matinée du mercredi pour converger vers le marabout de Sidi Sémiane. La vente, ce n'est pas tout. Un échange d'informations entres elles est établi dès qu'elles arrivent sur les lieux. «Venez s'il vous plaît acheter cette robe pour votre épouse, nous invite une vieille femme venue de Sid Ghilès, enveloppée sous son haïk blanc. Je l'ai achetée à 600 DA et je vous la cède à 650», nous dit-elle. Le marabout a toujours été un lieu de rencontres pour les femmes et les hommes. Malheureusement, aucun effort n'a été entrepris pour le transformer en une destination pour les randonneurs. Sidi Sémiane aura été un haut lieu de résistance durant la guerre de Libération nationale. Les espaces ne manquent pas même pour passer les nuits. L'eau et l'électricité sont disponibles. Il est à présent à l'abandon. Une des artisanes de Sidi Sémiane nous a reconnus, elle nous invite chez elle, pour nous montrer sa production. Des assiettes en argile et des meubles fabriqués à l'aide de bouse de vache et de l'argile sont stockés dans son gourbi. Elle fabrique ses produits sans utiliser aucun instrument ou machine. Des figues sont étalées sur le toit de son gourbi pour sécher. Fièrement, elle nous montre son petit lopin de terre (10 m2) cultivé, qu'elle vient de mettre en valeur. «Il y a de la tomate et du poivron, nous dit-elle, quand j'en ai besoin, je viens récolter mes légumes ici», ajoute-t-elle. Un sac plein de caroubes est placé à l'entrée du gourbi. «C'est pour le donner à mes chèvres, indique-t-elle. Les responsables de la forêt de Tipasa m'ont offert 5 chèvres et un bouc l'année dernière, mon cheptel commence à grandir, il faut que je prenne soin de lui ; le caroube est un aliment pour mes caprins», conclut-elle. Il est presque 12h 30. Les fourgons de transport sont déjà à la sortie du mausolée. Les femmes commerçantes qui sont venues des localités lointaines embarquent dans ces petits véhicules de marque chinoise. Les groupes de femmes se dispersent pour emprunter les pistes sinueuses afin de rejoindre leurs gourbis et leurs habitations rurales qui gravitent au milieu des montagnes. C'est le Ramadhan. Elles doivent préparer leur chorba. Le rendez-vous est pris comme à l'accoutumée pour mercredi prochain. Il fait très chaud. Sidi Sémiane, un espace encastré au milieu des massifs forestiers, paraît inhabité. Sur le site urbain de cette commune, des locaux construits par l'Etat sont fermés depuis des années. Initiative féminine L'habitant de Sidi Sémaine devra dépenser 100 DA pour son transport, avant de s'approvisionner en produits alimentaires. Or, dans ce chef-lieu de commune rurale, il n'y a point de commerce en alimentation générale, bien que les locaux soient fermés et inoccupés. Etrangement, une bibliothèque climatisée est ouverte. Des filles universitaires recrutées dans le cadre du pré-emploi gèrent cet espace culturel. Cinq micro-ordinateurs sont installés. «Il y a de la connexion ADSL», nous confirme la jeune femme. Le P/APC de Sidi Sémiane, bien installé dans son bureau climatisé, a tenu à nous expliquer quelques plans inhérents au développement de sa commune. Il a promis que la fête traditionnelle du marabout de Sidi Sémiane aura lieu au mois d'octobre prochain, en espérant que les gendarmes seront présents pour assurer un dispositif de sécurité, «avec le monde qu'il y aura, nous dit-il, l'ordre dans l'organisation est impératif», nous dit-il. Les femmes de Sidi Sémiane possèdent leurs techniques personnelles pour assurer leur survie, en dépit d'un quotidien difficile à supporter. L'austérité n'est pas un vain mot. Elles n'échappent pas à la pauvreté. Fières, les femmes rurales débrouillardes de Sidi Sémiane innovent, perpétuent leurs coutumes pour ne pas sombrer dans une vie semée de privations et de problèmes.