Contacté par téléphone, Mahmoud Chemam, établi à Tunis, affirme que la majorité du territoire de la Libye est désormais sous le contrôle des forces révolutionnaires. El Gueddafi n'est plus le maître de Tripoli. «Le despotisme vit ses dernières heures et la révolution triomphe. C'est une ère nouvelle faite de démocratie et de liberté», déclare-t-il, regrettant l'attitude négative de l'Algérie vis-à-vis de la révolution. - Les révolutionnaires sont entrés à Tripoli, mais la capitale n'est pas sous leur contrôle total et El Gueddafi n'est pas encore capturé. Comment évolue la situation sur le terrain ? En ce moment, les forces révolutionnaires arrivent à contrôler pas moins de 85% des territoires de Tripoli. Il faut dire que la capitale est très vaste, ce qui rend son contrôle total peu facile. Nos forces révolutionnaires livrent à l'heure où je vous parle une bataille décisive. Elles se dirigent vers Bab Al Azzizya où se réfugie le dictateur avec sa famille. Certaines informations affirment que le clan Gueddafi s'est replié à Syrte. Il n'a aucune capacité de résistance. La forteresse de Bab Al Azzizya est complètement assiégée par les forces révolutionnaires sans rencontrer aucune résistance. Sur le front Est, nos forces ont réussi à reprendre la ville de Ras Lanov. Les populations ont accueilli triomphalement les révolutionnaires, notamment à Tripoli. Nos forces ont pu entrer à Tripoli et en libérer une bonne partie en l'espace de quarante-huit heures. La libération totale de Tripoli, qui ne se concrétise qu'avec la chute entière d'El Gueddafi et de son clan, pourrait prendre quelques jours. Mais le despotisme vit ses dernières heures. La révolution triomphe. - Quel serait le défi central du Conseil national de transition (CNT) en cas de victoire finale ? Il est évident que la préoccupation centrale du Conseil national de transition est le rétablissement total et rapide de la sûreté et la tranquillité pour pouvoir se consacrer aux tâches de la construction d'un Etat avec ses institutions. Conscient de ce défi, le Premier ministre du Conseil national de transition, Mahmoud Jibril, a déjà mis en place un comité de la sécurité composé des membres du CNT ainsi que des leaders de la révolution, avec comme mission principale le dépôt des armes. Il faut faire en sorte que les actes de vengeance ne se produisent pas. Nous faisons une grande campagne dans ce sens. Ce comité s'attelle à gérer les affaires provisoirement, le temps que la situation se stabilise et s'engager résolument dans la construction d'un nouvel Etat libyen démocratique et pluraliste, avec l'arrivée du CNT à Tripoli dans les tout prochains jours. - Certains observateurs estiment que la tâche serait extrêmement difficile et que certaines fractions, les islamistes notamment, pourraient ne pas déposer les armes. Qu'en dites-vous ? C'est une appréhension tout à fait légitime. Il est évident que des craintes existent à ce sujet, indépendamment de la partie qui détient les armes. Cependant, nous sommes déterminés à mener sereinement cette opération. Toutes les fractions se sont engagées à déposer les armes après la victoire finale. L'objectif de la révolution était de débarrasser la Libye de la tyrannie et instaurer un Etat constitutionnel et de droit. Il est hors de question que des groupes autonomes détiennent des armes. La tâche ne serait pas du tout aisée. Contrairement à la Tunisie et à l'Egypte où les institutions existaient, en Libye, par contre, point de système ni institutions. C'est un pays à construire. Donc, la tâche est ardue et elle nécessite le concours de tous les Libyens. - Le Conseil national de transition est traversé par beaucoup de courants divergents et opposés, cela rendrait-il la situation post Gueddafi compliquée ? Pas du tout. Bien au contraire. Comme tout mouvement politique aussi large, le nôtre renferme de nombreuses et diverses sensibilités politiques et populaires. C'est plutôt un avantage. C'est le sens de cette révolution justement. Le CNT est l'expression démocratique du peuple libyen qui aspire à la liberté et à la dignité. La révolution a permis dans la lutte l'expression des voix politiques que le tyran a étouffées jusqu'à la mort durant 40 ans de dictature cruelle. Donc, il ne faut pas voir en cette pluralité au sein du Conseil national de transition un inconvénient. Nous allons bâtir un Etat démocratique dans son acception universelle. L'urgence est de prévaloir les divergences essentielles. Nous devons rester unis jusqu'à l'anéantissement définitif du régime d'El Gueddafi. Les différends secondaires entre les courants politiques seront pris en charge dans le cadre de la construction démocratique du pays.
Les rapports entre le CNT et l'Algérie sont très tendus. Comment voyez-vous les relations futures entre Tripoli et Alger ? Effectivement, les relations passent par une période très sensible au regard de la position algérienne qui a apporté un soutien sans faille au régime d'El Gueddafi. Les déclarations du ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, n'étaient pas pour apaiser les esprits. Il a décrété que les révolutionnaires ne pourraient pas diriger et gouverner la Libye. L'attitude du régime algérien est regrettable. Nous demandons à l'Algérie de nous fournir des explications. Pour nous, l'Algérie reste un pays frère qui nous est très cher. C'est notre profondeur historique et stratégique, le peuple libyen était du côté de la Révolution algérienne. Nous aurions aimé voir l'Algérie se mettre du côté du peuple libyen qui lutte pour sa liberté et son indépendance et jouer le rôle que lui dicte sa position géopolitique. Hélas, elle n'a pas vu juste. La révolution libyenne va œuvrer pour l'instauration du grand Maghreb politique et économique dans lequel l'Algérie devrait jouer un rôle. Mais malheureusement, elle a enregistré un énorme retard en apportant son soutien au régime d'El Gueddafi. Pour que les rapports connaissent une évolution positive, l'Algérie se doit d'être transparente et franche.