Extrémistes religieux, récidiviste souffrant de maladie mentale ou des étrangers visant à ébranler la paisible ville de Sidi Aïch (Béjaïa), plusieurs «accusés», un seul fait. Les langues se délient pour dénoncer les acteurs du feuilleton du Ramadhan : la profanation des tombes musulmanes. En attendant de voir l'enquête de la gendarmerie révéler les dessous de ces actes mystérieux, la suspicion et l'angoisse de revivre un tel sacrilège embrument la vie dans cette région de Kabylie. Les morts ne se sont jamais autant retournés dans leurs tombes ! C'est le cas de le dire dans la région de Sidi Aïch, située à 40 km du chef-lieu de la wilaya de Béjaïa. En ville, dans les villages, cafés et tadjmaât, on ne parle que des… cimetières. Pas moins de 295 tombes ont fait l'objet de profanation à Sidi Aïch. Un événement déjà vécu dans la wilaya de Béjaïa fin 2010 lorsque quelques cimetières musulmans de la ville avaient connu le même sort. Comme pour effacer toute trace de cet étrange épisode, la plupart des tombes ont été réhabilitées et une enquête a été diligentée par les services de la gendarmerie suite aux dépôts de plainte de l'ensemble des villages concernés, contre X. Mais rien ne semble rassurer la population. «Les auteurs ont osé toucher à des tombes, ce qui ne présage rien de bon. Ils sont capables de tout. Nous appréhendons la suite des événements !», s'inquiète un jeune buraliste à Sidi Aïch. Les rumeurs vont bon train. Chacun apporte sa version. Quelles que soient leurs divergences, une hypothèse revient sur toutes les lèvres : «La profanation des tombes serait l'œuvre d'extrémistes islamistes désapprouvant la construction des tombes sans respecter exactement les rites musulmans.» A Sidi Aïch, Chemini, El Flaye, Tibane et Souk Oufella, les tombes profanées portent le même signe, à savoir une épitaphe en marbre «ch'houd» brisée. «Les profanateurs passent, en général, à l'action dans la nuit de jeudi à vendredi, la veille du jour habituel des recueillements sur les tombes afin de choquer davantage les citoyens qui découvrent la tombe de leur proche saccagée. Ceci dit les actes sont mûrement réfléchis», précise un villageois de Chemini. De son côté, le président de l'APC de Sidi Aïch, Kamel Ouzani, en émoi, ne cache pas le dédain éprouvé à l'encontre des profanateurs. «Si une religion interdit la construction des tombes comme cela se fait à Sidi Aïch, j'invite ces ‘‘opposants'' au dialogue, car leur manière d'agir est lâche et n'honore pas la Kabylie. Je dirai même que ce sont des gens étrangers à la région qui veulent y semer la terreur», dénonce le P/APC. Un profanateur pour plus de 200 tombes ! D'autre part, certains villageois ne s'arrêtent pas à la piste des islamistes et rappellent un incident similaire ayant eu lieu l'an dernier dans la ville de Sidi Aïch. Un repris de justice extrémiste souffrant de troubles psychiques avait détruit la statue d'un martyr, l'an dernier. Un délit qui lui a valu six mois de prison et une amende de 10 000 DA. Une fois son nom évoqué, la confusion s'installe entre les citoyens interrogés. «Il ne faut pas oublier que certaines profanations ont été exécutées durant l'incarcération du malade mental», insiste un membre du comité de l'un des villages touchés par le sacrilège. Les regards pleins d'incompréhension s'échangent avant qu'un autre bonhomme ne s'interroge à son tour sur «la capacité du ‘‘soupçonné'' de perpétrer de tels actes individuellement ?» Même son de cloche chez un habitant du village de Tighilt, (commune de Tibane) et dont les tombes de ses parents et celle de son épouse ont été sauvagement profanées. La «victime» déplore que les gendarmes n'associent pas les villageois dans leur enquête. Et d'apporter son témoignage : «J'ai vu le malade rôder autour du cimetière du village plus d'une fois. J'ai de forts doutes qu'il soit impliqué dans cette histoire. Sa maladie ne l'empêche non plus d'être manipulé. La gendarmerie doit le pousser à révéler le nom de la tête-pensante», suggère notre interlocuteur. A Souk Oufella, le village de Tilioua Cadi a vu 150 de ses tombes profanées en une nuit. Les citoyens, secoués, appréhendent le remake d'un tel scénario dans la vallée de la Soummam. A l'instar d'une femme d'un certain âge qui avança vers nous et qui ne put s'empêcher de trembler en lâchant ces quelques mots avant de continuer son chemin : «Depuis que j'ai vu la tombe de mon père brisée, je ne cesse de faire des cauchemars. J'ai l'impression qu'il nous en veut à mes frères et à moi de ne pas avoir protégé sa dernière demeure», raconte la brave dame affectée. Une crainte qui prend de l'ampleur en l'absence de gardiens dans les cimetières, faute de moyens. Certaines jeunes villageois sont allés jusqu'à surveiller les tombes de leurs proches à tour de rôle, à l'exemple du jeune Hamid, de la commune de Chemini, qui se montre particulièrement aux aguets. «En Kabylie, on n'a pas réussi à assurer la sécurité aux vivants, comment voulez-vous que les morts soient en sécurité ?», ironise le jeune Hamid. Semer la terreur et briser l'union «Je suis persuadé qu'un groupe d'individus tend, à travers ces actes de vandalisme, à créer l'animosité et à briser l'union traditionnelle des Kabyles. Ces pratiques poussent les gens à s'accuser mutuellement», estime un membre du comité de village d'Izghad, dans la commune d'El Flaye. Quant au P/APC, il va jusqu'à appeler les citoyens à faire preuve de vigilance et d'éviter de tomber dans le piège de la suspicion. «Les gens derrière ces agissements attendent certainement une réaction négative de la part de la population qui, j'espère, affrontera cette épreuve avec beaucoup de lucidité», recommande Hafidh Cherfi, président de l'APC d'El Flaye. Du côté de la gendarmerie, Noureddine Akrouf, chargé de communication au groupement de gendarmerie de la wilaya de Béjaïa affirme que l'enquête est en cours et aucune piste n'est à écarter. Cependant, il n'omet pas de «dédramatiser» la situation en se montrant étonné par l'attribution de la population et des médias du terme «profanation» à la déprédation des tombes au lieu de «saccage tout simplement !» sous prétexte que «la destruction demeure partielle !»