Pour une décision aussi importante que l'ouverture du champ audiovisuel à l'aune de laquelle s'apprécie un pays démocratique – une ouverture qui fut depuis la libéralisation du champ médiatique dans le sillage des réformes constitutionnelles de février 1989 mise sous l'éteignoir par le pouvoir qui n'a toléré que l'existence, sous haute surveillance, de la presse écrite – on attendait une annonce solennelle, à la mesure de l'événement. Revendication à la fois pressante et récurrente des professionnels de la presse, de la classe politique, de la société civile, voire de la société dans son ensemble, la démonopolisation du secteur de l'audiovisuel – un secteur dominé encore et toujours par le règne de l'ENTV et de la Radio nationale en dépit du bouleversement qu'a connu le paysage médiatique au cours de ces deux dernières décennies – a toujours été considérée par les dirigeants algériens comme un sujet tabou, un dossier non négociable. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui s'exprimait hier devant le Parlement à l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire d'automne, a évoqué le sujet du bout des lèvres, comme s'il s'agissait d'un aveu forcé. «Pour la première fois, nous aurons une législation qui parlera de l'ouverture de l'audiovisuel», a annoncé sans enthousiasme et à mots couverts le Premier ministre devant les députés. M. Ouyahia, qui a été chargé de répandre la bonne nouvelle, aurait gagné à être un peu plus prolixe et moins opaque sur ce dossier en appelant les choses par leur nom, en levant clairement le voile sur ce projet et en fixant des échéances précises pour pouvoir apprécier les conditions et les limites politiques de cette révolution ou réformette audiovisuelle qu'on nous promet. Echaudés par les nombreuses promesses du pouvoir, non tenues, les Algériens ne croient plus aux discours incantatoires et aux effets d'annonce, à l'instar du show politique animé pendant un mois par la commission Bensalah sur les réformes politiques, censées baliser le chemin de la démocratie pour l'Algérie. Qui se souvient aujourd'hui de cette commission ? La sincérité ou non du pouvoir par rapport à cette promesse d'ouverture du champ audiovisuel s'apprécie à travers la réponse à ces deux questions fondamentales. Primo : quelle est la motivation du pouvoir qui opère un virage magistral à un moment où on l'attendait le moins, après la multiplication des déclarations de hauts responsables rappelant à qui ne voulait pas l'entendre et le comprendre que le dossier de la privatisation de l'audiovisuel n'était pas à l'ordre du jour ? A-t-il cédé aux pressions extérieures ? Secondo : qu'est-ce que l'on met dans cette pochette-surprise de l'ouverture de l'audiovisuel ? De quelle ouverture parle-t-on ? Si les chaînes thématiques de télévision apparentées à l'ENTV lancées par le pouvoir pour créer l'illusion du changement et de l'ouverture n'ont dupé personne quant aux objectifs inavoués de la création de ces chaînes clonées, la tentation de s'inspirer de l'expérience de la presse écrite est, en revanche, très grande. En mettant des garde-fous et en polluant le paysage audiovisuel par la création de télévisions privées proches du pouvoir et financées dans les mêmes conditions opaques, le pouvoir peut reprendre d'une main ce qu'il concède de l'autre. Ruse de guerre ?