Widad, Elyssa, Youssef, Abdelouahab, Khalid et Khamis sont six jeunes militants associatifs issus de quatre pays différents (Tunisie, Maroc, Algérie et sultanat d'Oman). Nous les avons rencontrés en Tunisie, à l'occasion d'un séminaire qui s'est tenu à Bizerte les 29 et 30 juillet dernier sous l'égide du Forum social maghrébin autour du thème : «Le rôle des jeunes dans la transition démocratique». Ils nous parlent de la situation politique et sociale qui prévaut dans leurs pays respectifs, de leur désir féroce de changement, de leurs déceptions et de leurs espérances en évoquant leur expérience militante. -Widad Melhaf. Etudiante en journalisme, Mouvement du 20 février, Maroc : «Nous continuons à réclamer une monarchie parlementaire» La nouvelle Constitution exprime surtout la volonté royale. Pour notre part, nous continuons à réclamer une monarchie parlementaire. Nous avons relevé plusieurs dépassements durant la campagne référendaire. La campagne a été étrennée par le roi avant l'heure, il l'a entamée le jour même du discours (le 9 mars, ndlr). Il n'y a pas eu de vrai débat, le roi n'a pas joué le rôle qui était attendu de lui, à savoir celui d'arbitre. C'est lui qui a élaboré la Constitution, et c'est lui a dirigé la campagne du «oui» en sa faveur. C'est pour cela que nous avons jugé qu'il fallait boycotter le référendum. Tout le spectre politique marocain peut trouver consensus autour de la revendication d'une monarchie parlementaire, qu'il s'agisse de ceux qui demandent le califat ou de ceux qui demandent la dictature du prolétariat. Au titre de nos revendications politiques, nous exigeons la dissolution du Parlement et du gouvernement, ils ne représentent pas le peuple marocain. Concernant les revendications sociales, nous réclamons le droit au travail à tous les chômeurs, l'augmentation du SNMG, la baisse des prix des produits alimentaires de base, la suppression de toutes les causes qui font le lit de la pauvreté et de la misère sociale. Dans la majorité des villes marocaines, il y a des palaces et, à côté, des bidonvilles qui n'offrent pas le minimum pour une vie décente. Maintenant, il faut que le Mouvement aille vers des revendications ponctuelles. Nous sommes passés de l'organisation de marches mensuelles (20 février, 20 mars et 24 avril) à des marches hebdomadaires. Avant, toutes les revendications étaient exprimées en vrac, qu'elles soient politiques, économiques ou sociales. A partir de la marche du 15 mai, nous sommes passés à des revendications précises, comme la dénonciation de la pratique de la torture et des atteintes aux droits de l'homme. Nous avons organisé une manifestation en forme d'excursion au centre de détention secret de Temara, près de Rabat. Ayant eu vent de cette action, ils (les gens du mahkzen, ndlr) ont mobilisé de grands camions pour éliminer toute trace de torture et évacuer le matériel utilisé pour ces basses besognes. En tout cas, le Mouvement du 20 février est loin de s'essouffler. Le référendum a donné un nouvel élan à la dynamique du 20 février. Si le débat sur le document constitutionnel s'est transformé en débat sur la légitimité du roi, c'est parce que le roi ne s'est pas comporté en arbitre. S'il était resté au-dessus de la mêlée, cela aurait été mieux pour lui, d'autant qu'il y a au sein du peuple marocain un consensus sur la personne du roi. En s'engageant dans la campagne, il nous a déçus. Il a mobilisé tout l'appareil du makhzen. Ils ont même payé des gens pour perturber les marches du mouvement du 20 février qui appelaient au boycott de la Constitution. Il y a eu une campagne de dénigrement féroce à son encontre, que ce soit dans les médias officiels ou sur Facebook. Mais cela ne nous décourage pas, bien au contraire. Le Mouvement du 20 février est resté malgré tout très populaire.
**************************************** -Youssef Tlili. Etudiant en droit, président du Forum des jeunes pour la citoyenneté et la créativité, Tunisie. : «On aurait dû commencer par les élections municipales au lieu de la Constituante» En Tunisie, nous sommes entrés dans un processus révolutionnaire. Après, ce que ça va donner, seul le peuple le sait. Nous avons d'autres expériences de transition démocratique à méditer, notamment l'expérience algérienne à partir de la révolution d'octobre (1988). Nous avons donc une vision assez claire de ce que pourraient être les limites des dérives populistes. Nous sommes presque dans une situation catastrophique, et nous avons tout à refaire. Mais il est normal qu'il y ait des moments de flottement. Si on devait faire le bilan de ces six mois, dans l'ensemble, on est sur la bonne voie. Personnellement, je pense qu'on aurait dû commencer par les élections municipales et non pas par l'élection de l'assemblée constituante, parce que nous sommes dans un pays où la pratique de la politique et de la démocratie n'a jamais existé. Donc, il aurait été plus intelligent de commencer à intégrer les gens dans le processus de gestion de la vie collective, et particulièrement, de la gestion de la vie des communes, pour pouvoir aboutir à une démocratie. Il me semble que la démocratie se construit de bas en haut. Sauf surprise, nous allons vers un système de démocratie libérale très semblable aux systèmes occidentaux, ce qui est moyennement satisfaisant pour moi qui voudrais qu'on inscrive le pays dans la marche du siècle au lieu de nous retaper toute l'histoire des démocraties libérales, depuis leur essor jusqu'à leur déclin. Mais je crois que, quel que soit le scénario que connaîtra la Tunisie, le peuple tunisien ne fera pas d'erreur parce que c'est lui qui va décider de son avenir cette fois. Concernant le spectre de l'islamisme, il se trouve que nous sommes les voisins de l'Algérie, et la guerre civile algérienne, nous a marqués. Et puis, nous sommes un pays où la pratique religieuse a toujours été très tolérante. Le prosélytisme et l'exhibition religieuse sont tout à fait nouveaux pour nous. Cela dit, on découvre en Tunisie quelque chose qui est la société tunisienne et qui était totalement inconnue, aussi bien pour la «société civile» qui existait sous Ben Ali que pour la mouvance démocratique. Quant à notre association, le Forum des jeunes pour la citoyenneté et la créativité, l'idée date de 2008. C'est l'initiative d'un groupe de jeunes actifs qui militent dans plusieurs associations. On s'est dit pourquoi ne pas créer un espace dédié aux jeunes et à la formation. L'idée a fait son chemin. La dictature aidant, l'association n'a pas vu le jour. Après la révolution du 14 janvier, nous avons lancé quelques activités. Cela est notre seconde rencontre (la co-organisation du Forum social Jeunesse Maghreb-Machrek à Bizerte, ndlr). Nous avons initié également des opérations de sensibilisation aux inscriptions sur les listes électorales qui est fondamentale parce que nous estimons que c'est la part que doit remplir le citoyen dans le contrat social. Par ailleurs, nous sommes fiers que l'association offre des cadres de qualité qui participent activement au processus de transition. Nous comptons un de nos membres au sein de l'Instance supérieure indépendante pour les élections. Une autre de nos militantes siège au comité des experts de la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Ce qui nous rassemble tous, c'est ce qu'on peut faire. Ce n'est pas ce que chacun pense faire, mais ce que, ensemble, nous pouvons faire. Et nous découvrons à chaque fois que nous pouvons faire des choses impensables parce que nous n'allons pas parler idéologie. Nous pensons qu'une autre Tunisie est possible et que pour mettre sur pied cette autre Tunisie, il faut y travailler. *************************************** -Abdelouahab Fersaoui. Président de l'association Rassemblement actions jeunesse (raj), Algérie : «Si le régime continue à marginaliser la société et à réprimer, une radicalisation du mouvement social est inévitable» Pourquoi en Algérie ça ne prend pas ? C'est une question que l'on nous pose dans toutes les rencontres auxquelles nous participons. On nous demande toujours : «Et l'Algérie, c'est pour quand ?». Et moi je réponds invariablement que l'Algérie a une situation un peu spéciale. Je rappelle que ce que la Tunisie et l'Egypte vivent aujourd'hui, l'Algérie l'a déjà vécu un certain 5 octobre 1988 où on a payé une facture très chère avec plus de 500 jeunes tués par balles par l'armée, et ce mouvement, ce soulèvement populaire a obligé le régime à accepter une ouverture politique, d'où la naissance du pluralisme politique avec la Constitution de 1989. C'est pour dire que cette expérience n'est pas nouvelle pour l'Algérie. Après, tout le monde sait ce qui s'est passé avec l'arrêt du processus électoral et le coup d'Etat militaire de janvier 1992, l'Algérie qui plonge dans un bain de sang, dans une sale guerre, 200 000 morts, des milliers de disparus, des millions de déplacés, des milliards de dollars de dégâts matériels. Donc cette situation a complètement cassé la dynamique sociale, associative et politique qu'il y avait en Algérie. Ça a traumatisé la société. En conséquence, les gens se sont mis à s'éloigner de la politique et à s'impliquer moins dans la vie citoyenne. Cela a poussé les Algériens à se montrer moins offensifs que les Tunisiens, les Egyptiens, les Yéménites ou les Syriens. Les gens aspirent juste à avoir un peu de sérénité dans leur vie, un peu de paix. A cela, il faut ajouter le jeu trouble du régime qui, faut-il le reconnaître, est un régime très fort dans la manipulation. Il s'acharne continuellement à diviser, à réprimer, à normaliser, à récupérer. Il a beaucoup de moyens, il a une institution militaire puissante, il dispose de beaucoup d'argent. Il s'évertue par tous les moyens à casser les dynamiques autonomes qui existent, qu'elles soient associatives, syndicales, partisanes ou autres. Il a compromis même des intellectuels, c'est dire. Partant de là, et en usant de son rouleau compresseur administratif et répressif, il a réussi à bloquer ce processus de démocratisation. Mais ça ne veut pas dire qu'on est pessimistes ou qu'on va croiser les bras. L'espoir existe toujours, il ne faut pas se tromper et dire que les Algériens ça y est, ils ont cédé. Ils temporisent seulement. D'ailleurs, il y a plusieurs mouvements qui se sont imposés sur le terrain, à l'instar du mouvement des étudiants et de celui des chômeurs. Si les autorités continuent à faire la sourde oreille aux préoccupations de la jeunesse algérienne et de la population de manière générale, si le régime continue à marginaliser la société et à réprimer, une radicalisation du mouvement social est inévitable, et nous connaîtrons ce que certains qualifient à juste titre de «tsunami populaire». Je pense que le pouvoir a encore une chance pour opérer une transition dans le calme, et il gagnerait à la saisir. ************************************* -Elyssa Jalloul. Diplômée en droit public et sciences politiques, membre de l'association Jeunes citoyens vigilants, Tunisie : «Je n'aimerais pas qu'on connaisse un scénario à l'algérienne» Notre association Jeunes citoyens vigilants a été créée en février 2011, juste après la révolution. Quand on dit «vigilance», cela suppose qu'il y a danger. Il s'agit surtout pour nous d'être vigilants par rapport à soi. La vigilance citoyenne a été complètement absente. On ne parle pas de 23 ans de Ben Ali, on parle de 50 ans de dictature. On a eu 50 ans de quasi non-participation, de non-vigilance. Le peuple était complètement hypnotisé, il n'était pas conscient. Etre vigilant implique un effort de comprendre, un effort de surveiller, un effort aussi de contrôler l'Etat, de contrôler l'action gouvernementale et contrôler les représentants du peuple. C'est une veille et une surveillance citoyennes. Notre but, c'est d'éveiller une conscience citoyenne chez les gens et les amener à un effort de participation qui ne se limiterait pas qu'à la rue. Sur le plan organique, notre association est structurée autour de trois commissions. Nous avons une commission d'enquête constituée de jeunes juristes, des journalistes aussi qui vont sur le terrain et font des enquêtes (sur la situation sociale et politique en Tunisie, ndlr). Nous avons également une commission «culture politique», elle effectue un travail technique autour de concepts politico-juridiques. On essaie de pousser les gens à la réflexion. Il y a une nécessité de penser (les événements). Le troisième axe, c'est la communication. Je pense que Ben Ali aurait pu tenir encore 23 ans s'il avait juste eu cette intelligence de communiquer avec le peuple tunisien. A partir donc de cette organisation, on essaie non pas d'endoctriner les gens mais de leur faire prendre conscience. Dans le centre même de Tunis, on sent qu'il y a un relâchement, il y a un désintérêt, il y a beaucoup d'intox, il y a de la lassitude. Il y a un taux de dépression élevé en Tunisie. Les gens sont fatigués psychologiquement, parce que les choses se sont déroulées à un rythme très, très rapide, un rythme ‘‘révolutionnaire''. L'élite politique est complètement déconnectée de la réalité tunisienne. Aujourd'hui, personne ne peut se targuer de connaître la société tunisienne. Il s'est avéré que c'est un peuple complètement imprévisible. Où va la Tunisie ? C'est vrai qu'il y a un flou général mais personnellement, je n'oserais pas dire où on va. Tous les scénarios sont possibles. Le travail des associations et des mouvements émergents ne doit pas s'arrêter au 14 janvier, il doit continuer. Tout ce que je souhaite, c'est que la loi de l'urne l'emporte. Il faut dire qu'on a beaucoup appris de l'Algérie, qui a connu, elle aussi, une révolution. J'ai des amis algériens qui me disent : ‘‘Prenez garde !''. Sincèrement, je n'aimerais pas qu'on connaisse ce scénario à l'algérienne. Néanmoins, je pense qu'il ne faut pas diaboliser le parti Ennahdha. D'abord, ce n'est pas un mouvement politique, c'est un mouvement social. On connaît l'étendue d'Ennahdha. Pour les autres, Ettahir et les mouvements salafistes, on ne connaît pas réellement l'étendue de ce phénomène tant qu'il n'est pas dans une structure juridique claire. En tout cas, je ne vois pas en eux (les islamistes) une menace. J'y vois plutôt une évolution de la société tunisienne. Il y a partout un retour vers le religieux. Par exemple, en Tunisie, on ne voyait pas autant de femmes voilées. Mais il faut banaliser ça. C'est comme avec le sexe : quand on banalise le sexe, les gens deviennent moins frustrés. En Egypte, la révolution a été un peu forcée. En Tunisie, elle est unique parce qu'elle était mûrie. Il y a tout un back ground derrière. C'est pour ça qu'elle a donné ce résultat. Les gens en avaient marre. Un slogan disait : «Khobz ou ma Ben Ali la». Les gens étaient à bout bien avant la révolution. D'ailleurs, il y a une blague édifiante à ce propos : un chien algérien et un chien tunisien se croisent aux frontières.Le tunisien demande : où tu vas comme ça ? L'autre lui dit : machi naâmal jaw, je vais passer du bon temps en Tunisie. Puis le chien algérien demande, étonné : tu laisses la belle vie en Tunisie, les piscines, et tu viens en Algérie ! Le chien tunisien lui rétorque : je viens chez vous pour aboyer… *********************************** -Khamas Qalam. Poète, membre de l'Association des écrivains omanais, sultanat d'Oman : «Le plus important est que le peuple omanais a gagné en conscience politique» Le sultanat d'Oman est un riche pays pétrolier. Nous produisons quelque chose comme 700 000 barils/jour. Tous les ministres omanais sont des businessmen et des milliardaires. C'est ce lobby d'affaires qui gère le pays. Oman a connu une forte insurrection (dans les années 1970). C'était dans le Sud, sous la conduite du Front socialiste pour la libération du Dhofar évoquée par le romancier (égyptien) Ibrahim Sonallah dans son célèbre roman Warda. Les sultans omanais ont toujours été la façade d'un pouvoir qui était entre les mains des Britanniques. C'est que le pays jouit d'une position stratégique. Il donne sur l'Océan indien et contrôle le détroit d'Ormuz. Jusqu'au début des années 1970, le pays n'avait ni hôpitaux, ni routes, ni écoles, à l'exception d'une ou deux écoles réservées aux riches. Quand le sultan Qabous est arrivé au pouvoir, il s'est mis à moderniser le pays, et c'est pour cela que les gens l'aimaient et l'aiment toujours parce qu'il les as sauvés de son prédécesseur, le sultan Saïd Ibn Taïmour (le père de Qabous, ndlr). C'était un tyran qui infligeait au peuple un régime féodal. Il a privé les Omanais de tout. Le fils a ainsi détrôné le père, et ce même scénario s'est produit aux Emirats et s'est répété au Qatar. Le pays a commencé à se relever petit à petit. Certes, ce n'est pas un pays démocratique ni une république, mais le sultan a essayé d'inscrire son autorité dans la modernité «matérielle». Et c'est ainsi qu'il a réussi à gagner même la sympathie de certains symboles de la guérilla socialiste. En même temps, on a assisté à une consécration du culte de la personne du sultan. On trouve son effigie partout : dans les livres scolaires, dans les maisons, partout ! En parallèle, il y a un écrasement du citoyen omanais. C'est quelque chose qui a été planifié. Dans les programmes scolaires par exemple, on n'enseigne pas la vraie histoire, la philosophie est occultée, les jeunes ne se posent pas de questions. On forme des créatures abîmées. Le citoyen omanais est docile. Le régime s'est délibérément arrangé pour produire ce type de citoyens. On a façonné des gens qui soient faciles à maîtriser. «Affame ton chien, il t'obéira», dit le proverbe. Le citoyen omanais aurait pu être prospère sous tout rapport. Si on jouissait réellement des ressources du pays, chacun aurait pu vivre dignement, mais cela constituerait un danger pour le pouvoir parce que, repus, les gens vont demander autre chose. D'où la stratégie : «Affame ton chien, il t'obéira». On a donc fait du citoyen omanais un spécimen docile, pleutre, passif. Il donne souvent de lui l'image d'un homme humble, qui se contente de peu. Tout est fait pour ne glorifier que les vieilleries et la tradition. L'effort intellectuel et la pensée rationnelle sont totalement absents. Mais la révolution des télécommunications et les réseaux sociaux se sont chargés fort heureusement de bouleverser les mentalités, et c'est valable pour toutes les sociétés arabes. Ce sont ces technologies qui ont fait tomber les régimes arabes. Le citoyen omanais n'a pas été élevé dans les valeurs de la liberté, de la dignité et de l'humanisme, si bien qu'il a été déshumanisé. Il traite le travailleur asiatique comme un chien ou un esclave. D'où a-t-il ramené ce comportement ? Tout cela a été soigneusement planifié. Cela veut dire qu'il y a eu une mauvaise politique à la base dans la construction de l'homme omanais. Et si tu as échoué dans la fabrication de l'homme, c'est la preuve même de ton incompétence. Cela a donc produit un citoyen dégradé et abîmé (mouchawah). Le sultan a fait mine d'engager des réformes. Il a viré 12 ministres d'un seul coup. Mais ce sont des réformes de pure forme. Nous avons 200 000 chômeurs à Oman (pour 2,6 millions d'habitants). Le mouvement de contestation a commencé en janvier 2011. L'objectif premier était de briser le mur de la peur. Les plus grandes manifestations ont eu lieu à Dhofar, Mascate et Sohar. Parfois, les actions se tenaient sous des tentes où étaient données des conférences pour faire un travail de pédagogie politique. Pour nous, la figure du sultan est un symbole inamovible. Nous sommes, en revanche pour une monarchie constitutionnelle. Nous demandons que le sultan règne mais ne gouverne pas. Le gros des revendications était à caractère économique et social. Des jeunes demandaient du travail, une fois qu'ils ont eu du travail, ils sont rentrés chez eux. D'autres réclamaient une augmentation de salaire, une fois qu'ils l'ont obtenue, ils se sont tus. Certains ont exigé de mettre fin au fléau de la corruption qui gangrène le gouvernement. C'est l'une de nos plus importantes revendications. Le sultan a répondu en changeant des ministres. Il faut dire que le limogeage de ces 12 ministres a suscité beaucoup d'émoi à Oman, presque semblable au départ de Ben Ali en Tunisie. Certaines mesures étaient purement démagogiques. Il y a aussi des mesures qui tendaient à faire pression sur les manifestants. L'une d'elles portait sur l'interdiction de manifester et de se rassembler, avec prérogatives élargies pour la police qui a désormais le droit d'interpeller les gens et de les garder en détention un mois à titre préventif. C'est une sorte d'état d'urgence. A l'heure actuelle, il y a encore des remous à Sohar et à Dhofar. Il faut dire que l'été dissuade les gens de sortir manifester. La température atteint les 50°. Mais ça va reprendre car la situation est explosive. Il y a des mesures répressives attentatoires aux libertés. Si le sultan n'engage pas de vraies réformes, le seuil des revendications va s'élever, et après avoir été sociales, elles vont toucher le cœur du système. Le plus important est que le peuple omanais a gagné en conscience politique. Sa voix est désormais écoutée. Les gens ont brisé le mur de la peur et celui de l'ignorance. Ils sont heureux de respirer un air nouveau. Il est donc impossible de revenir en arrière. C'est un point de non-retour. ******************************** -Khalid Chahid. Militant altermondialiste, membre du Forum des alternatives Maroc et du Mouvement du 20 février : «Le Maroc a raté un rendez-vous avec l'histoire» Nous sommes pour des alternatives citoyennes au libéralisme sauvage. Les influences de la mondialisation sur notre région sont terribles. On revendique la globalisation de la lutte. Nous sommes pour une mondialisation alternative, pour une mondialisation humaine, une mondialisation de l'économie solidaire, contre la mondialisation actuelle qui est une mondialisation de la misère, une mondialisation des guerres et de la militarisation du monde. La région arabe est celle qui en souffre le plus avec le conflit au Sahara - occidental, le conflit arabo-israélien, ou quand on voit ce qui se passe en Irak et au Soudan. On assiste à une sur-militarisation de la région. La première puissance militaire (de la région) est l'Egypte, suivie du Maroc et de l'Algérie. Des budgets astronomiques sont dépensés dans l'armement alors que les peuples vivent dans la misère et la persécution. Concernant la situation interne au Maroc et l'action du Mouvement du 20 février, je pense que le plus grand mérite de ce mouvement, c'est d'avoir réanimé le débat politique qui était au point mort. Il y avait une certaine léthargie sur le plan de la participation politique et du militantisme de manière générale, et c'est là un phénomène commun à toute la région. Les jeunes en particulier avaient perdu confiance dans les partis politiques, ils avaient perdu confiance dans l'Etat et cela a généré une forme de désengagement politique. Ce qu'a ramené le Mouvement du 20 février, c'est qu'il a permis à une nouvelle génération de jeunes de réinvestir le terrain. La plupart des jeunes qui sont sortis dans les manifestations du 20 février étaient encadrés politiquement mais il y avait parmi eux aussi des jeunes qui n'étaient affiliés à aucun parti. Il faut remarquer que Facebook et les nouvelles technologies ont joué un rôle important dans cette mobilisation. Cela a permis aux gens de mieux communiquer et d'être en contact entre eux en permanence. Même les réunions, parfois, on les fait sur Facebook. Cela aide à transmettre l'information rapidement en temps réel. Cela a ainsi facilité l'organisation des marches. Dès que quelqu'un a une idée, il la lance sur Facebook. Même le Mouvement du 20 février a été créé initialement sur Facebook. Ce mouvement a vraiment réussi à toucher le cœur des gens. Il a remis sur la table le débat constitutionnel. Le référendum (sur la Constitution) a été pour nous une déception. Le Maroc a raté un rendez-vous avec l'histoire. On espérait l'instauration d'un véritable Maroc démocratique. La Constitution marocaine a désormais deux visages : un visage démocratique, moderne, et un visage conservateur. On y trouve ainsi des articles qui annulent toutes les dispositions positives. Par exemple, on lit que la Constitution consacre le principe de la primauté des traités internationaux sur les lois nationales. Mais juste après, on lit «à condition qu'ils ne soient pas en contradiction avec la charia islamique et avec les lois et les constantes nationales». Le premier document présenté par la commission était lumineux.Après, il y a eu une campagne orchestrée par les forces obscurantistes dont le Parti de la justice et du développement et le mouvement Tajdid, cela avec la complicité de l'institution royale. Ils ont fait un forcing pour ajouter des articles qui annulaient ce qu'il y avait de bon dans la Constitution. Cependant, le plus grand tort n'est pas celui de ces forces. Il est à imputer aux partis dit progressistes car les mémorandums qu'ils ont présentés n'étaient pas de bonne qualité. Ils ont manqué d'audace dans la défense de leur projet bâti autour des principes de la laïcité, de la citoyenneté et autres valeurs que nous défendons.Mais ce mouvement de contestation va se poursuivre. Nous avons au Maroc des traditions de lutte très ancrées comme celles des militants des droits de l'homme ou encore le mouvement des femmes qui a toujours été très actif.