Elles n'ont toujours pas le droit de conduire mais elles viennent d'arracher le droit de vote, qu'elles pourront exercer en 2015. Résultat d'une lutte menée depuis des années et… d'une large médiatisation de leurs actions. Un jour «historique» ! Dimanche dernier, le roi Abdallah annonce, lors de son discours annuel devant le conseil de la Choura, l'octroi du droit de vote aux femmes. Ces dernières n'ont toutefois pas pu user de ce droit, hier, lors des élections municipales – les deuxièmes depuis la création du royaume wahhabite – destinées à pourvoir la moitié des 285 sièges des conseils municipaux, l'autre moitié étant nommée par les autorités. Il faudra donc attendre le prochain rendez-vous électoral en 2015 pour voir des femmes dans les bureaux de vote, mais également sur les listes électorales. Les femmes ayant obtenu par la même occasion le droit à l'éligibilité ainsi que celui de participer directement à l'évaluation des projets de loi en siégeant au Majlis El Choura, un conseil consultatif qui n'a pas caché ses réticences quant à cette dernière mesure. A noter toutefois que les femmes siègeront probablement dans une Chambre autre que celle des hommes avec qui elles communiqueront par téléconférence ! Soucieux de renforcer son image de «progressiste» et de «réformateur», et conscient de l'importance que revêt la question de la femme en Occident, le monarque de 87 ans a fait fi des réticences de ceux qu'il nommera «les récalcitrants» en faisant, depuis quelques années, des pas timides en faveur des femmes. Ainsi, il a nommé pour la première fois une femme vice-ministre de l'Education en 2009, et déclaré, plus récemment, qu'il n'y avait aucun texte de loi interdisant aux femmes de conduire en Arabie Saoudite. Appels à la marche Mais la récente mesure, elle, intervient après une série de réformes sociales entreprises depuis le début de l'année visant à calmer la grogne sociale, et à assouvir les besoins d'une société avide de réformes. Le vent du printemps arabe aurait-il soufflé sur l'Arabie Saoudite ? Rien ne permet de le dire, car ces avancées symboliques qui améliorent la place de la femme n'affectent en rien les équilibres du pouvoir. Par ailleurs, il serait réducteur de ne pas lier ces acquis à la lutte des femmes saoudiennes, menée depuis quelques années déjà, et depuis le début de l'année en particulier. En effet, cette année a connu une forte mobilisation des féministes, qui ont su médiatiser leurs actions, notamment grâce à internet. Ainsi, profitant de la prise de conscience des peuples de la région, des Saoudiennes ont investi la rue, en mars dernier, en réponse aux appels à la marche via les réseaux sociaux, réclamant une citoyenneté pleine et entière. Très vite, une page facebook «La révolution des femmes saoudiennes» est créée. S'ensuivent une série d'actions, comme celle organisée le 23 avril dernier à Jeddah, où des femmes se sont symboliquement rendues dans un centre d'enregistrement des électeurs aux municipales d'hier, bien qu'exclues du scrutin. Fatwas «Nous rêvions de pouvoir prendre les commandes d'une voiture, nous voilà capables de prendre les commandes du pays», s'est réjouie Manel Al Charif, la célèbre doctoresse de 32 ans, grâce à qui le monde entier connaît désormais la situation dans le pays. Dans une vidéo qui a connu un franc succès sur le Net, elle se montre en train de conduire, une pratique pourtant interdite. Elle est arrêtée le 21 mai dernier au volant de sa voiture, puis libérée dix jours après. Son coup est réussi. Suite au tollé qu'a soulevé son arrestation, d'autres femmes se joignent à elle. Ainsi, elles décident de prendre toutes le volant de leur voiture le 17 juin dernier, et ce, malgré les fatwas permettant au tuteur de battre sœur, épouse ou fille qui oserait participer à cette action. Si depuis, des Saoudiennes bravent cet interdit, les autorités sont tout de même là pour les rappeler à l'ordre. En effet, l'une d'entre elle a été condamnée mardi dernier à recevoir dix coups de fouet pour avoir conduit un véhicule, vraisemblablement en représailles à leur nouvel acquis. Certes, la décision du roi constitue un grand pas en avant, mais le chemin vers l'égalité dans ce royaume ultraconservateur est encore très long. Bien que les organisations internationales de défense des droits de l'homme se soient félicitées de cette mesure, il est encore beaucoup trop tôt pour se réjouir de la fin de «la discrimination et l'exclusion dont ont souffert longuement les femmes saoudiennes». C'est bien «l'ensemble du système qui subordonne les femmes aux hommes en Arabie Saoudite qui doit être démonté», selon Philip Luther, directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International, qui y mettra fin.