Pourquoi l'Algérie ne regarde pas vers son passé pour rendre hommage aux Français qui avaient fait le choix de se battre pour l'indépendance ?», s'est interrogé l'auteur, Amar Belkhoudja, hier lors d'un débat en hommage à l'anticolonialiste Francis Jeanson, organisé par l'association Machaâl Echahid au Bastion 23, à Alger. Une question qui révèle le déni d'une page glorieuse de l'histoire coloniale. Bannis de l'histoire officielle, les Jeanson, Audin, Yveton, Jacqueline Guerroudj, Leban, Maillot et tous les autres européens, qui avaient choisi la cause juste pour se battre contre leur propre pays, n'ont pas eu les hommages de la République. Une situation qui a trahi l'ingratitude de l'Algérie officielle à l'égard d'une catégorie de révolutionnaires très particulière. Ce reniement est emblématique de l'abandon de l'idéal révolutionnaire au lendemain de l'indépendance de l'Algérie. «Ces révolutionnaires, il faut les porter avec fierté», prêche M. Belkhoudja. Pour Francis Jeanson, le combat anticolonial était toute sa vie. «Il avait déjà des contacts avec les nationalistes algériens, notamment ceux de l'UDMA entre 1948 et 1949 lorsqu'il est venu pour un travail sur le théâtre sartrien», raconte Amar Belkhoudja. Lorsque la guerre éclate en Algérie, le philosophe Francis Jeanson se range naturellement du côté de la révolution. Emblématique de l'intellectuel engagé, il fait le procès du colonialisme dans le livre qu'il publie avec sa femme Collette, L'Algérie hors-la-loi, où il affirme la légitimité de la lutte du Front de libération nationale. Le livre, qui provoque une grande polémique, devient rapidement le manifeste d'une génération de militants anticolonialistes. Son soutien pour l'indépendance le conduit de l'engagement de la pensée à la lutte par l'action en faveur du FLN.
Il crée ainsi, en 1957, le «Réseau des porteurs de valises» qui est connu communément «le Réseau Jeanson», dont la mission était de collecter et de transporter des fonds, d'héberger et de faciliter les déplacements des militants. «Ce réseau a été indéniablement d'un apport déterminant pour l'issue de la lutte de libération», souligne Amar Belkhoudja. En réponse à tous ceux qui lui reprochaient de soutenir «les ennemis de son pays», il publie Notre Guerre en 1960 où il s'était expliqué sur son engagement aux côtés des combattants algériens. «Francis Jeanson avait déclaré qu'il a sauvé l'honneur de la France en défendant ses valeurs qu'elle même trahissait», témoigne Saâda Messous, ancien maquisard de la Wilaya III historique. A la découverte du réseau, Jeanson est jugé et condamné par contumace, en octobre 1960, à dix ans de prison ferme au terme du procès de son réseau. Né le 7 juillet 1922 à Bordeaux, il a dû interrompre ses études de philosophie pour des raisons médicales.
Il intègre après la Seconde Guerre mondiale l'équipe des Temps modernes, où il devient gérant. Auteur d'une vingtaine d'ouvrages notamment sur Sartre et Montaigne. «Francis Jeanson a posé ses valises» pour reprendre le titre du quotidien français Libération, le 1er août 2009. Jeanson et tous «les porteurs d'espoir» ont leur place au Panthéon de l'histoire combattante. L'historien Daho Djerbal a écrit dans un hommage à cet intellectuel engagé : «Espérons que l'Algérie d'aujourd'hui puisse se souvenir que des Français se sont battus, se sont exposés et ont mis en jeu leur liberté et parfois leur vie, pour l'indépendance de notre pays et une certaine idée de la France.» Espérons-le !