Livres, films, témoignages de policiers, d'observateurs, de victimes. La chape de silence est imposée depuis le plus haut sommet de l'Etat français. Les jours suivant le massacre de la manifestation, des élus à différents niveaux avaient demandé une commission d'enquête. Les plus hautes autorités de l'Etat français, depuis le général De Gaulle en passant par le Premier ministre, Michel Debré et le ministre de l'Intérieur jusqu'au préfet de police, Maurice Papon, avaient refusé d'accéder à ces demandes. Au moment de la sortie de son livre La bataille de Paris. Le 17 octobre 1961, aux éditions Le Seuil, en 1991 (El Watan du 17 octobre 1991), Jean-Luc Einaudi nous indiquait que «dans les événements du 17 Octobre 1961 on a assisté à une volonté d'étouffement». Des journaux étaient saisis : Vérité-Liberté, Temps modernes, la revue Partisans avec un article de François Maspéro, un livre, un film interdits. La presse parisienne avait parlé de cinq morts. Et hormis L'Humanité et Libération , les autres organes de presse ont relayé les informations manipulées de la Préfecture de police. Seul, un certain Hervé Bourges nommera les lieux et les actes barbares commis, dans Témoignage chrétien du 21 octobre ( le Temps des Tartuffes ), qui sera immédiatement saisi tandis que d'autres journaux paraîtront avec des «blancs». C'est ensuite la chape de plomb et l'occultation qui vont caractériser le rôle des médias. Hervé Bourges écrit dans Témoignage Chrétien du 27 octobre 1961 : «c'est une rude leçon que viennent de nous donner les Algériens de Paris, parce que jamais ils ne seraient descendus dans la rue si nous, journalistes, avions mieux informé une opinion chloroformée des réalités d'une guerre qui s'est établie sur notre sol et si nous, démocrates, avions pu taire nos divergences et unir nos forces ». Le 19 octobre 1961 le ton de la presse commence à changer et à parler de « violence à froid » sur les « manifestants arrêtés » ( Le Monde). Une enquête menée au Parc des expositions, centre d'internement, est publiée sans signature dans le numéro 13 du journal Vérité-Combat qui sera saisi. Quelques jours plus tard l'Humanité, Libération, France-Soir, Témoignage Chrétien, France Observateur, l'Express, Le Monde font paraître des témoignages accablants. Gilles Martinet, rédacteur en chef de France Observateur et Claude Bourdet, éditorialiste avaient rédigé un article dans lequel ils demandaient une enquête, alors qu 'au moment de boucler le journal, ils recevaient la visite de policiers indignés par la violence de leurs collègues à l'encontre des manifestants. Quelques photographes comme Elie Kagan ont bravé l'interdiction. Jacques Panijel chercheur au CNRS et membre du Comité Maurice Audin avait fait un film Octobre à Paris qui n'a eu un visa commercial qu'en 1999. Le défunt George Mattei a fait partie des quelques personnes qui ont réintroduit le 17 Octobre 1961 dans la mémoire collective. Il avait adhéré à la Fédération de France après sa démobilisation d'Algérie et après avoir rédigé dans la revue Esprit l'un des deux premiers témoignages sur la torture pratiquée dans les rangs de l'armée française. George Mattei nous rappelait en 2001 que c'est seulement en 1980 dans Libération que cela a commencé à bouger avec le journaliste Jean-Louis Péninou « témoin de la manifestation et militant anticolonialiste qui a fait publier le premier dossier de presse avec le peu de matériel que nous avions ». Le silence demeure la règle dans les milieux officiels.