Les communaux ont entamé leur premier jour de grève hier pour mettre à nu un certain nombre d'irrégularités qui cachent mal une crise encore plus grande. APC bloquées et discréditées ; l'énumération de ces tourmentes est peut-être aussi longue que la liste des 1541 communes réparties sur le territoire national. Les élus impliqués dans des affaires de justice ne sont pas là pour arranger les choses. Le citoyen y répond par le désespoir ou la violence (immolation, sit-in, émeutes) mais en vain l Impasse. Je n'ai pas été élu, j'ai été placé.» Chemise blanche, cravate noire, l'homme, la quarantaine, éteint ses téléphones et s'assoit. Derrière lui, le regard solennel et affecté du Président est accroché indifféremment au mur. Cet élu d'une commune de la capitale esquisse un sourire ironique avant de se répéter - une franchise qui lui fait du bien, dit-il : «Je ne suis pas élu, je suis issu de la fraude. Qu'on se le dise, il n'y a jamais eu de vraies élections en Algérie, j'ai été placé à cette APC, et je suis en mission», tranche-t-il d'emblée. Quelle mission ? «Faire ce qu'on me demande de faire. Alors parler des prérogatives des élus et du code communal me paraît presque ridicule», ajoute-t-il avant de demander à ce que son identité ne soit jamais révélée. Requête acceptée. L'homme va alors plus loin : «Le système mafieux qui m'a placé contrôle tout, il donne à ceux qui l'arrangent et retire ou bloque ceux qui le dérangent. Si une commune est empêtrée dans de multiples fléaux, ils donnent sa gouvernance à un parti d'opposition pour qu'il se casse les dents». Comment s'opère ce contrôle ? «Le fonds commun des collectivités locales (FCCL) qui est le régulateur politique avec lequel ils font et défont les APC, ils les plongent dans la crise ou les sauvent.» (voir encadré). Le regard de l'homme s'assombrit à mesure que son discours se précise. «Si vous saviez à quel point c'est pourri», lâche-t-il dépité, avant de clore ses aveux en promettant qu'il n'y aura vraiment plus d'Etat dans 5 ans. Il y a seulement deux jours, la commune de Hadjadj (Mostaganem) a été carrément incendiée par des jeunes mécontents. Hier encore, cinq habitants d'El Tarf ont décidé d'occuper le toit de l'APC en brandissant la menace d'un suicide collectif pour contester la liste des bénéficiaires de l'aide à l'habitat rural. La crise qui traverse nos communes est-elle si grave ? 1541 communes, autant de blocages A 300 km de Ghardaïa, Meniaâ une commune du désert, isolée entre les immenses communes de Tamanrasset et d'Adrar. Point perdu sur le gigantesque plateau pierreux du Tademaït, où déjà il est difficile de vivre : une APC survit sans maire, depuis 2009. Suite à la démission de son premier magistrat (PT), ses habitants ont observé plusieurs rassemblements contre ce blocage administratif, en vain. Au nord, dans une des plus riches communes côtières du pays, un maire est brutalement «débusqué» de son poste pour être jeté à la prison de Hadjout. Depuis ce fameux 6 juillet, les habitants de Zéralda, qui ont perdu leur maire, sont plongés dans le flou et l'incompréhension. A l'est dans la wilaya de Bouira, un jeune a tenté de s'immoler par le feu, il y a trois semaines, face au siège de l'APC de Souk El Tenine. Un autre a fait mieux, quelques mois auparavant, il a tenté de se suicider en fonçant en voiture sur le siège de l'APC de Sidi Ben Adda. On se souvient encore dans cette commune de l'ouest (Aïn Timouchent) de cet acte de haine et de désespoir. Quatre points cardinaux, une même cible : l'assemblée élue (l'est-elle vraiment ?) Routes mal goudronnées, problèmes d'ordures ménagères qui attendent sur les trottoirs, accès à des postes d'emploi, le droit au logement, à un local commercial ou à un bout de terrain, colère contre des faits de corruptions et de passe-droits. L'énumération des raisons du blocage des APC est longue, peut-être même aussi longue que la liste des 1541 communes réparties sur le territoire national. La rancœur vis-à-vis de cette cellule de base de l'Etat n'est un secret pour personne. Des élus locaux à plaindre ou à décrier ? Les relations tendues entre élus et les administrés s'expliquent par deux raisons, selon le sociologue Lhouari Addi. D'abord par le manque de prérogatives des élus qui «n'ont aucun pouvoir pour régler les problèmes des habitants de la commune, le budget de la mairie provenant du ministère des Finances qui est contrôlé par le wali», mais aussi par un problème de représentativité étant donné que les élus sont «désignés, à travers des élections truquées, par l'administration qui ne demande qu'une chose : l'obéissance», précise-t-il. Résultat : prépondérance de la corruption et de la mauvaise gestion consenties par tous. 146 élus ont été impliqués dans des affaires de justice en 2010, selon un rapport rendu public le mois dernier. Détournement d'argent, versement de pots-de-vin ou utilisation de la fonction à des fins personnelles, ce rapport dévoilé par le directeur des affaires pénales et des grâces au ministère de la Justice, à l'occasion de la Journée d'information de la convention de l'ONU sur la corruption, permet de montrer du doigt la classe politique la plus corrompue du pays. «La plus facile à faire tomber plutôt contrairement aux autres catégories de l'Etat qui bénéficient d'une immunité autant officielle qu'officieuse», précise Hadjadj Nacerdine (RCD), P/APC de Berriane, destitué de son poste en octobre 2008, soit moins d'une année après son installation à la tête de l'APC. «Je gênais les intérêts de l'administration alors il ont décidé de m'évincer en manipulant les événements de Berriane, exactement comme ils ont évincé Mouhib Khatir, le P/APC de Zéralda, emprisonné depuis 4 mois parce qu'il voulait lutter contre la corruption», explique le maire suspendu. Selon lui, le cas de Mouhib Khatir est plus éloquent, parce que c'est un élu indépendant, et donc plus vulnérable, sans parti politique pour le défendre. A l'origine de tout ce malaise, la fraude ? C'est du moins ce que pense le Dr Khendek, secrétaire général chargé des élections du RCD. «Les élus issus de la grande matrice de la corruption sont placés dans les communes de tous le pays pour servir les intérêts de ceux qui les ont placés». Le problème de la représentativité peut expliquer beaucoup de choses, notamment que jamais un maire algérien n'a pu accéder à un poste de responsabilité au sommet de l'Etat. Ailleurs, là où la démocratie participative règne, les hommes politiques, ministres ou présidents, passent souvent par la case «mairie» avant d'atteindre les hautes sphères du pouvoir. Une expérience de proximité dont ils tirent une légitimité. Ici, les mots de passe d'entrée dans le sérail politique sont autres : cooptation participative et intérêts locaux !