Les robes noires désertent, depuis hier, les salles d'audience. Le premier des trois jours de protestation décidés par l'Union nationale des barreaux d'Algérie aura été «un succès» à Alger, où le taux de suivi est «de 100%». Il est plus de 10h et un calme inhabituel règne dans la salle des pas perdus de la cour d'Alger, au Ruisseau. Personne. Tout juste trois individus là où d'ordinaire les avocats et les citoyens se pressent en attendant une éventuelle comparution ou à la recherche d'informations sur leurs affaires. Derrière les battants de l'entrée de la salle d'audience, connue pour toujours être comble, de rares personnes sont assises sur les bancs en bois et en cuir. Le fauteuil du président de la cour est vide ; une pile de dossiers trône sur le bureau. Ceux qui sont assis attendent la séance de l'après-midi durant laquelle les détenus doivent comparaître. Les familles escomptent les apercevoir pendant que leur affaire est renvoyée. «Un service minimum a été mis en place. Un avocat, désigné par le bâtonnat, assiste à l'ensemble des audiences afin de demander aux magistrats le renvoi des affaires», explique maître Mouloud Bennacef, membre du bâtonnat d'Alger. C'est d'ailleurs lui qui a eu en charge de procéder au report de l'ensemble des dossiers programmés pour cette journée à la cour d'appel. «Hormis quelques cas où des particuliers ont tenu à comparaître sans défense, toutes les affaires ont été renvoyées à des dates ultérieures comme le 12 novembre prochain ou encore le 13 décembre», poursuit-il. Au tribunal de la rue Abane Ramdane, contrairement à la cour d'Alger, il y a foule. Un policier filtre les entrées d'une salle d'audience, pleine. Des dizaines de citoyens attendent, assis, les yeux dans le vague. Un homme, bras et jambes croisés, la tête grisonnante, soupire d'impatience. «Oui, je sais qu'il y a grève. Tout le monde le savait avant de venir», dit-il avec un accent étranger. L'homme, un Turc, affirme être obligé d'être présent. «L'affaire doit être renvoyée, comme toutes les autres, mais la procédure n'a pas encore été effectuée. Donc nous attendons que le magistrat et l'avocat désigné nous libèrent de cette formalité», souffle-t-il. Et si ce boycott des audiences agace quelques justiciables, qui «auraient voulu se débarrasser de cette corvée qu'est une comparution», d'autres sont soulagés. «C'est toujours avec angoisse que je me présente ici. Quoi qu'on en dise, ce sont des épreuves très lourdes. Alors, ça fait un répit», explique un quadragénaire. «Et si cela peu faire que la justice soit plus juste, c'est dans le bien de tous !», ajoute-t-il. «Pour que les citoyens croient en la justice de leur pays» Une justice indépendante et libre et un droit de la défense respecté sont d'ailleurs les principales motivations des robes noires. «Nous exigeons le retrait pur et simple du projet de loi relatif à la profession d'avocat. De même, nous demandons une étude sérieuse quant à la situation de la justice, soumise à l'approbation de l'ensemble de la corporation», explique maître Abderrezak Chaoui, membre du bâtonnat d'Alger. Ce projet de loi avait provoqué un tollé au sein des robes noires en juin dernier. Le bâtonnat d'Alger avait alors organisé des actions de contestation, afin de demander le retrait de ce texte présenté par le ministre de la Justice devant la commission des affaires juridiques de l'APN. Ces revendications n'ayant pas abouti, la protestation s'est élargie à une échelle nationale. «C'est la première fois que les 15 barreaux d'Algérie conjuguent leurs efforts afin de faire aboutir cette cause commune», se réjouit maître Sadek Chaïb. Et quelle cause ! Cette mouture, telle que présentée à l'approbation des députés, fait que les avocats, «déjà pieds et poings liés, entrent dans les salles d'audience avec la bouche cousue», accusent-ils. «La tutelle est dans une logique de résultats, de statistiques. Elle occulte totalement le respect du droit de la défense ou les considérations humaines», s'indigne maître Khaled Bourayou. «Lorsqu'un juge est tenu à une obligation de résultats, qu'il se doit de traiter 600 dossiers au cours d'une audience, il est impossible que les justiciables soient défendus et que l'avocat plaide comme il le devrait», poursuit-il. «D'autres actions suivront. Et nous nous battrons afin que les citoyens croient en la justice de leur pays», promettent les robes noires.