Politologue, chercheure à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), installée au Caire, Sarah Ben Nefissa travaille depuis longtemps sur le mouvement associatif en Egypte. - Quelle lecture faites-vous des affrontements des manifestants avec les forces de l'ordre, sur la place Tahrir, ce week-end ? Ces affrontements sont une sorte de continuité avec les récents heurts entre les forces de police et de l'armée lors des événements «maspéro» avec la manifestation des Coptes devant le siège de la TV égyptienne. En la réalité, nous avons affaire à une tentative de restauration autoritaire de la part de l'armée, qui se révèle avec la lenteur des réformes politiques, la lenteur des jugements contre l'ancienne équipe dirigeante, les graves atteintes aux droits de l'homme, le dossier des martyrs de la révolution qui n'a pas été traité convenablement, etc. Après avoir esquissé un rapprochement avec les forces politiques islamistes, elle a montré, ces derniers temps, une volonté d'équilibrer les choses. C'est ainsi que l'armée a décidé d'émettre un document dit «des principes au-dessus de la Constitution». Ce document parle d'Etat «civil» pour éviter que la nouvelle Constitution — qui sera rédigée par une commission choisie par une majorité parlementaire probablement à domination islamiste (FM et salafistes) — ne rédige une Constitution qui instaure un Etat religieux. Ce document a provoqué la colère des islamistes, mais également des autres forces politiques, car il contient un passage qui fait de l'armée une institution au-dessus de tout contrôle politique ou financier. Même après la Révolution de 1952, les officiers libres n'ont pas inscrit cette clause dans la Constitution. - Ces événements ont, en tout cas, fortement décrédibilisé le Conseil des forces armées. L'armée a-t-elle trahi la révolution ? Evidemment, l'armée a toujours été respectée et honorée en Egypte, mais sa gestion du pays après la démission de Moubarak l'a fortement décrédibilisée. Le tabou autour du rôle de l'armée est aujourd'hui tombé. L'armée n'a pas trahi la révolution. Elle ne l'a pas comprise. - Aujourd'hui, la crise de confiance entre les organisateurs de la manifestation et l'armée est importante. Ce bras de fer ne risque-t-il pas de prendre en otage la transition ? Assurément, la situation est grave. Nous ne sommes plus dans le cadre d'une «transition» à la démocratie, mais d'une restauration (ou continuité) de l'ancien système autoritaire. - Quelles répercussions ces événements auront-ils sur les élections législatives du 28 novembre ? Quel avenir politique et économique se dessine pour le pays ? Des forces politiques réclament la démission du gouvernement «Charaf» et craint avec raison le déroulement d'élections dans le cadre d'une situation sécuritaire très fragile sans parler des conditions juridiques, techniques, politiques, etc., de ces élections. L'avenir du pays est incertain.