- Pourquoi le processus de transition démocratique est-il bloqué ? Parce que le Conseil suprême des forces armées (CSFA) s'est comporté comme une continuité de l'ancien régime et non pas comme un organe mandaté par la révolution. Les objectifs de la révolution étaient pourtant très clairs : un changement radical dans la structure du système ancien et une rupture totale avec l'ancien régime. Par contre, le Conseil militaire, au lendemain de la chute du clan Moubarak, a adopté une démarche réformatrice. Les dirigeants militaires pensaient, à tort bien évidemment, que le départ de Moubarak et l'élimination des symboles de son régime et du Patri national démocratique (PND) suffiraient pour contenir la révolution. En opérant quelques réformettes de façade, le CSFA pensait calmer l'acharnement de la rue. Mais il s'est lourdement trompé. Le peuple exige des changements radicaux, que soit en politique intérieure ou extérieure. Il ne se contente pas du changement des figures pour les remplacer par d'autres. Il veut un véritable système démocratique. Ce qui se passe maintenant, c'est la résultante d'un fossé qui se creuse de plus en plus entre une révolution qui milite encore pour un changement radical et une direction politique qui n'a rien fait. Certes, cette direction, le CSFA, a protégé le peuple pendant la révolution de janvier, mais dix mois après, des divergences apparaissent. La logique répressive domine chez l'actuel pouvoir. Il porte la responsabilité de la mort de 42 personnes tuées la semaine dernière. La grande mobilisation d'aujourd'hui vient corriger le processus de la révolution et réorganiser les priorités. J'espère que le CSFA tirera les conclusions qui s'imposent. - L'armée semble déterminée à tenir les élections législatives à la date prévue, en ne tenant pas compte des revendications de la place Tahrir et a nommé un nouveau chef du gouvernement, Kemmel G. Qu'en pensez-vous ? Tenir les élections dans ces conditions politiques est un suicide qui pourrait conduire le pays vers des lendemains difficiles. De toutes les manières, ces élections ne pourront en aucun cas élire un Parlement qui traduira la volonté de la révolution et les millions de jeunes qui l'ont portée, car ce serait un Parlement dans lequel le pouvoir aura permis aux résidus de l'ancien régime de concourir aux élections. Les courants islamistes pensent que s'ils cautionnent ces élections, ils auront la majorité et pourront rédiger la nouvelle Constitution. Il est extrêmement dangereux qu'un seul courant s'empare de la rédaction de la Loi fondamentale. Il aurait été plus judicieux de le faire autrement. La nomination d'un nouveau chef de gouvernement ne va rien changer à la donne, parce que ce gouvernement, tout comme le précédent, ne décide de rien. - Les manifestants exigent le départ du CSFA et la remise du pouvoir aux civils. La rupture est-elle consommée entre le peuple et le Conseil militaire ? Ce qui se passe n'est pas un affrontement entre le peuple et son armée, mais plutôt un soulèvement populaire contre une direction politique à qui on a confie la réalisation des objectifs de la révolution, mais qui, finalement, a dévié cette révolution de son cours naturel. Ce peuple, qui se mobilise aujourd'hui partout dans le pays, veut retirer ce mandat confié au CSFA pour le remettre aux forces politiques qui militent réellement pour le changement, afin qu'elles puissent gérer les aspects politiques de la transition. Et à l'armée de prendre en charge les aspects sécuritaires. Le rôle de l'armée dans cette phase est nécessaire pour protéger la révolution des contre-révolutionnaires qui font alliance avec l'appareil sécuritaire de l'ancien régime, son parti et les hommes d'affaires qui se sont mobilisés pour le projet d'héritage du pouvoir. - Comment voyez-vous l'évolution de la situation, sachant que chaque partie campe sur ses positions ? Je pense avec conviction que la mobilisation des forces de la révolution va remettre le processus révolutionnaire sur la bonne voie. Le CSFA doit comprendre que nous sommes dans un temps révolutionnaire qui ne s'accommode pas de manœuvres et de changements de façade. La révolution, qui a commencé le 25 janvier, ne va pas s'arrêter aux élections. C'est un processus de transformation global et permanent. Il faut faire confiance à cette jeunesse qui a renversé une dictature des plus cruelles.