Le ministre de l'Intérieur, l'intarissable Daho Ould Kablia, DOK pour Chawki Amari, vient de déclarer que la création de partis politiques sous le régime déclaratif est «un raccourci dangereux». Cela peut se défendre. Mais devient moins soutenable transposé à l'investissement. L'Algérie est en effet un des rares pays au monde qui soumet l'investissement à autorisation administrative. L'ambassadeur du Japon à Alger l'a formulé dans des termes peu diplomatiques en situant sur ce plan, l'Algérie, juste derrière la Corée du Nord et Cuba, où la cession des logements individuels vient d'être autorisée en 2011. John Maynard Keynes explique qu'une politique de contre-cycle dépressif peut aller jusqu'à payer, sur fonds publics, des travailleurs à creuser des trous puis à les reboucher. Leurs revenus serviront à acheter des marchandises et à soutenir d'autres emplois. L'Etat algérien, riche et écervelé, refuse que le privé algérien prenne ce risque à sa place. Le risque d'investir, donc de distribuer des salaires, en dernière instance. Pas sans autorisation préalable. Et pas seulement lorsqu'il y a une partie étrangère dans la prise de risque. Durant des années, cette analyse revenait cycliquement sur la perte sèche infligée à l'économie algérienne du fait de l'interdiction de l'industrie audiovisuelle privée. Séquence tronquée. L'audiovisuel n'était pas durant tout ce temps la seule activité interdite au capital privé national. La liste est longue. Elle est sur le bureau de Ahmed Ouyahia, le super-président du conseil d'administration à la tête de tous les actifs publics. Et pour une activité lâchée sous la contrainte, exemple la télévision sous le printemps arabe, une autre est fermée aux privés nationaux. De fait, l'affaire Khalifa a fermé deux immenses gisements d'affaires aux nationaux. La banque et le transport aérien. Les faits remontent à 2000-2003. Il est toujours interdit, en 2011, pour les capitalistes algériens résidents de créer une banque, ou une compagnie de transport aérien. Ecrit nulle part. Appliqué le doigt sur la couture. Pernicieux. De fait, Abdelhamid Temmar a renvoyé le privé algérien du montage automobile en annulant d'autorité un projet de joint-venture entre un promoteur industriel de Biskra et deux entreprises chinoises en 2008. La logistique portuaire aussi est fermée au privé algérien. Cevital, mais pas seulement lui, n'est pas autorisé à lancer à sa charge la construction d'un nouveau terminal à container du centre à cap Djinet. De même que Issad Rebrab est, de fait, interdit de monter en capital dans OTA (Djezzy), l'Etat algérien veut exercer un droit de préemption qui, chez le notaire, appartient d'abord aux autres actionnaires de OTA. Malchance, c'est un privé national. Dernière nouvelle, Ahmed Ouyahia ne veut pas de privés nationaux dans la production de ciment. Un promoteur détenant une licence sur une carrière a amené à l'ANDI le projet d'une cimenterie à 51%-49% avec un partenaire étranger qui n'est pas Lafarge Algérie. L'ANDI a naturellement fait son travail et présenté ce nouvel investissement au Conseil national de l'investissement (CNI). Colère du Premier ministre, super-président du conseil d'administration des actifs publics. L'investissement doit se faire en partenariat avec Gipec (la holding publique des matériaux de construction) ou rien. Banque, transport aérien, logistique, automobile, ciment, téléphonie, sidérurgie à Bellara : les députés seraient en droit de demander la publication au Journal officiel de la totalité des secteurs d'activité pour lesquels il ne faut plus embêter M. Mansouri directeur de l'ANDI, qui fait de son mieux. La question est alors de savoir pourquoi cette éviction informelle de l'investissement privé national de ces secteurs d'activité. Les pistes de réponses sont multiples. La principale est bien sûr politique. Le couple Bouteflika-Ouyahia n'est pas un défenseur idéologique de l'expansion du secteur public. Seulement un défenseur de sa capacité de contrôle clientéliste sur le capitalisme national. Or, il est plus simple de contrôler un périmètre plus petit. Exactement comme pour la télévision publique. Tant pis pour les points de croissance du PIB perdus en route. Illustration de ce malthusianisme orienté, l'essor de l'ETRHB, le groupe des frères Haddad, durant les années Bouteflika. Secteur d'activité le BTPH, un domaine ou le pouvoir politique pense garder le contrôle sur l'acteur privé. C'est l'Etat qui lui donne et qui peut lui retirer du plan de charge. Pas de risque de perdre la main, tant que l'acteur privé n'entame pas une stratégie de diversification qui peut mettre ses revenus à l'abri de l'humeur présidentielle. L'ETRHB se diversifie. Le groupe vient de subir une série de revers en appel d'offres. Le plus retentissant étant celui de la Grande Mosquée d'Alger en consortium avec les espagnols du FCC. La liste des territoires de l'investissement interdits aux privés algériens pourrait donc s'allonger d'une ligne. Pas de grands contrats de travaux publics pour les entreprises algériennes qui investissent par ailleurs dans la presse, la télévision, la prospection pétrolière et le football.