Dérangeant, bouleversant, écrasant, profond, silencieux. C'est ainsi qu'on pourrait résumer le film, mais ce serait le réduire à sa plus simple fonction. La femme de Gilles, tiré d'un roman du même nom, de la Belge Madeleine Boudrouxhe, confirme la bonne santé du cinéma belge. Car au-delà de l'histoire, au demeurant banale et courante, la mise en scène est une petite merveille dans le genre. Le récit en lui-même est une plongée dangereuse dans une tragédie conjugale. Le réalisateur a choisi de se passer de flash-back et de voix off. Le dialogue, en tout et pour tout, se réduit à 11 mn dans un film qui dure un peu plus d'une heure. Un peu surprenant, mais une grande partie du génie de ce jeune réalisateur réside dans le fait que les émotions, la douleur, la passion, les meurtrissures, la violence sont exprimées par le silence, les yeux, les échanges de regards et l'œil de la caméra. Et c'est plus fort que les mots, parce qu'aucun texte ne pouvait exprimer avec autant de force les émotions d'Elisa, rôle incarné par Emmanuelle Devos, avec un talent inouï. Clovis Cornillac et Laura Smet, dans les rôles de Gilles et Victorine sont également exceptionnels. Visuellement, la caméra ne la quitte pas. Et c'est avec Elisa qu'on vit, avec elle qu'on soupçonne, encore avec elle qu'on découvre tout, mais on se révolte sans elle... Techniquement, tout est perçu à travers une composition de cadres très classiques, de travellings, de plans larges fixes, comme dans le cinéma muet, de plans rapprochés poitrine, de superpositions de deux personnages au lieu des habituels champs-contrechamps... Le tout avec une empreinte marquante de Renoir sur l'image. De même que la lumière fait référence aux peintures de Vermeer (contrastes marqués, clair-obscur). Même la musique se veut rare. Elle ne retentit que lors de certaines scènes cruciales et elle le fait aussi avec beaucoup de vigueur. Dans La femme de Gilles, tous les éléments ont été réunis pour donner naissance à une prouesse cinématographique. Quant à Frédéric Fonteyne, c'est avec une totale maîtrise et beaucoup de génie qu'il a enfanté ce portrait d'une existence sacrifiée.