C'est un film que toutes les mères du monde devraient voir. Hala ala wine ? (Et maintenant, où on va ?) de la Libanaise Nadine Labaki leur est dédié. Cette comédie dramatique a été projetée mercredi à la salle Saâda. Le film commence par une procession de femmes vêtues de noir. Des femmes, mères, sœurs et épouses, qui pleurent la mort d'un proche dans un village au Liban (ou même ailleurs !). Ici, vivent musulmans et chrétiens. Ils se disputent entre eux, parfois pour rien. Les conflits entre hommes sont nombreux et alimentés de l'extérieur. Ils mènent souvent à l'irréparable. Roukos (Ali Haidar) et son ami Nassim (Kevin Abboud) approvisionnent le village à bord d'une moto. Ils doivent éviter de tomber dans un champ de mines qui entoure le village. Plus tolérantes, les femmes sont dégoûtées de porter le deuil et de craindre chaque jour, chaque soir pour la vie de leurs proches. Elles utilisent tous les stratagèmes pour que les hommes ne s'affrontent pas pour des futilités. Avec les deux adolescents de la moto, elles élaborent un plan pour «détourner» l'attention des hommes, neutraliser l'esprit belliqueux et prévenir les menaces déstabilisantes extérieures. Caramel Elles font alors appel à des danseuses ukrainiennes venues pour un spectacle dans un hôtel de Beyrouth (l'art n'a jamais été une menace, n'est-ce pas ?). Amal (Nadine Labaki), qui gère un café, coordonne les opérations féminines. Après une autre bagarre, Amal a chassé les clients de son café leur criant tout ce qu'elle pense de leur stupidité et de leur refus de vivre paisiblement ensemble. Takla (Claude Baz Moussawbaa), mère chrétienne de Nassim, assassiné en dehors du village lors d'une bataille entre musulmans et chrétiens, écrase toute sa souffrance pour éviter la guerre civile au village. Aidée par sa voisine et Roukos, elle cache son fils dans un puits à la tombée de la nuit. La scène tournée par Nadine Labaki est mémorable par sa puissance dramatique. Elle porte toute la douleur du monde. Un monde que certains veulent intolérant, repoussant et violent. La réalisatrice, qui a à son actif le délicieux Sukar Banat (Caramel), a abordé, dans Hala ala wine ? une thématique difficile, voire sensible, sans que cela soit forcément lié au Liban, un pays multiconfessionnel ayant connu la guerre fratricide. Une thématique actuelle. Le village dans son film n'est qu'un symbole d'un endroit qui peut se trouver partout dans le monde arabe, voire ailleurs dans la géographie. Le Soudan n'a-t-il pas été fractionné en raison de divisions nées de la religion ? Montage parfait L'Irak et la Somalie ne sont-ils pas déchirés à cause de confessions divergentes ? L'Irlande n'a-t-elle pas connu la guerre civile en raison de divergences à l'intérieur de la même religion chrétienne ? Et d'où vient le malheur de l'Afghanistan ? Avec intelligence et philosophie, Nadine Labaki a montré toute la difficulté de construire et d'entretenir la paix. L'idée de la réalisatrice, qui a coécrit le scénario avec Thomas Bidegain, Jihad Hojeily et Sam Mounier, est de susciter la réflexion sur les retombées désastreuses de l'incompréhension et du refus de l'autre. Elle a, avec beaucoup de finesse, renversé les rôles en chargeant un musulman de camper le personnage d'un curé, un chrétien d'interpréter celui d'un imam. La cinéaste a choisi dans des villages libanais, sur le tas, des acteurs et actrices n'ayant jamais fait de cinéma tels que Yvonne Maalouf (l'épouse du maire) ou Mostefa Al Sakka (Hamoudi). A l'écran, cela a donné un jeu d'acteurs naturel et plaisant, servi par un montage parfait. La cinéaste a même laissé les actrices s'exprimer comme elles l'entendaient. Elle s'est contentée de leur expliquer l'histoire. «Nadine Labaki s'est comportée avec nous comme une sœur, pas comme une réalisatrice. Nous l'avons aimée. C'était une expérience pour nous», a expliqué Leila El Hakim. «Absurdité de la guerre» Leila El Hakim est venue à Oran, avec deux autres comédiennes du film Anjo Rihane et Antoinette Noufaily, discuter avec le public sur Hala ala wine ?. «Les femmes ne font pas la guerre. Les hommes engagent les hostilités et en sont les premières victimes», a déclaré Antoinette Noufaily lors du débat qui a suivi la projection. «Nadine a eu un enfant. Et depuis qu'elle est mère, elle sait quelle est la douleur de perdre un fils. Depuis, elle a décidé de faire un film sur ce sujet, sur ces nombreuses mères qui ont perdu leurs enfants en raison de l'absurdité de la guerre», a expliqué Anjo Rihane qui a interprété le rôle de Fatma. Elle a prévenu sur les conséquences du mélange entre religion et politique qui peut être un accélérateur de conflits autant que l'attachement au confessionnalisme. Qu'en sera-t-il si le Liban, par exemple, était gouverné par une femme ? Y aurait-il moins de guerres ? La réponse de Anjo Rihane était une question : «Les hommes arabes vont-ils laisser les femmes arriver au pouvoir ? L'homme oriental est-il prêt à se laisser guider par une femme en politique ?» Hala ala wine ? est un beau film sur plusieurs plans. Le jury du Festival d'Oran ne peut pas le laisser de côté. Cette fiction a été sélectionnée dans le section Un certain regard au dernier Festival de cinéma de Cannes. Choisi pour représenter le Liban aux Oscars américains en 2012, Hala ala wine ? a décroché le prix d'estime du public au dernier festival de Toronto au Canada et le Bayard d'or au festival de Namur en Belgique.