L'Amérique a annoncé la fin de la guerre en Irak, mais les Irakiens poursuivent les leurs. Depuis que le pouvoir a changé de main, il y a quelques années, c'est un air de vengeance d'une communauté par rapport à l'autre. Et là, il s'agit des chiites majoritaires, face aux sunnites fortement minoritaires, mais qui détenaient l'essentiel des pouvoirs. Ce sont aussi des batailles politiques et des affrontements au sein même de la communauté chiite. Ce sont enfin toutes les attaques menées contre les autres minorités. Ce qui est excessif pour un pays déjà en ruine, cessant d'être une mosaïque et vivant une véritable épuration ethnique, débouchant sur des espaces ethniquement homogènes, en raison du déplacement forcé de populations. L'instinct grégaire l'a finalement remporté sur toute autre considération. Plus rien ne semble arrêter cet affrontement, et aussi cet éclatement progressif de l'Etat irakien, morcelé de fait, car la profonde méfiance bloque tout, comme la tenue prévue hier d'une réunion d'urgence des dirigeants politiques convoquée pour trouver une issue à la crise entre les deux groupes chiite et sunnite, mais qu'il serait maladroit de réduire à ce face-à-face. La vie politique a connu une grave détérioration avec un échange d'accusations de la même intensité, avec à la clé un mandat d'arrêt lancé à l'encontre du vice-président sunnite Tarek Al Hachémi, accusé d'actes terroristes, des accusations qu'il s'est empressé de rejeter. M. Hachémi a de nouveau accusé hier le Premier ministre d'avoir «provoqué une crise, difficile à contrôler». Acte conscient ou délibéré du chef du gouvernement chiite ? Le débat a été porté dans la rue. Dans ce sillage, et comme pour ramener cette crise à de plus simples proportions, Iraqiya, deuxième groupe parlementaire dirigé par l'ancien Premier ministre, Iyad Allaoui, avec 82 députés, a annoncé que ses neuf ministres allaient boycotter le gouvernement, deux jours après avoir suspendu sa participation aux travaux du Parlement, en dénonçant la «dictature» de M. Maliki. Ce qui est un peu trop pour un gouvernement qui a mis une année pour voir le jour, et qui doit naviguer pour éviter les embûches. Et sans qu'il soit possible que la crise politique a dégénéré, les violences survenues jeudi ont contribué à la cristallisation de cette crise. Au moins soixante personnes ont été tuées, et des centaines d'autres blessées à Baghdad. Les choses se compliqueraient, mais l'incursion de la coalition de Iyad Allaoui tend à en simplifier les données, puisqu'il y a manifestement opposition contre le Premier ministre, Nouri Al Maliki. C'est pourquoi, des dirigeants irakiens ont souhaité des discussions pour sortir de la crise. A l'image du chef du Parlement et du président de la région autonome du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, qui a averti du risque de «crise profonde», et appelant à «une réunion d'urgence pour éviter l'effondrement du processus politique», comme si ce n'était pas encore le cas. Est-ce Nouri Al Maliki qui poserait problème, lui qui a eu beaucoup de mal à conserver son poste de Premier ministre ? La coalition de Iyad Allaoui, qui tente de transcender les clivages ethniques, a justement pointé du doigt la gestion de l'actuel Premier ministre, qualifié de dictature, et affirme que son retrait a été décidé «en raison de la détérioration du processus politique, pour éviter que le pays ne sombre dans la catastrophe si la dictature de Maliki se poursuit», a-t-il ajouté. Une crise comme le monde en connaît, sauf que l'Irak aurait dû en faire l'économie.