Les détritus sont les joujoux préférés des enfants, inconscients du danger qui les guette. Au milieu de ces immondices, certains cherchent des objets de valeur destinés à la vente. En pleine Mitidja, à quelques pas de la gare ferroviaire sur le CW 112, se situe Chabir, un petit village où vivent 164 familles dans des conditions si déplorables qu'elles ont inspiré même les écrivains. Feradj Demhais, écrivain boufarikois, avait intitulé son livre, sorti en 2008 en France, Le triomphe de l'ordure. En effet, la dominance des déchets est criante à notre arrivée. Constitué de maisons précaires érigées au cœur de la déchetterie publique communale de Boufarik, Chabir a tous les qualificatifs d'un village-décharge. Une montagne d'ordures est la première à nous recevoir ! Entassées depuis des années, il s'y dégage une odeur insupportable. Selon les services de la direction de l'environnement, il y aurait plus de 130 000 m3 de déchets. Ces détritus sont les joujoux préférés des enfants, inconscients du danger qui les guette, où ils y cherchent des objets de valeur destinés à la vente. La pauvreté et le chômage de la majorité de leurs parents obligent même certains à quitter les bancs de l'école pour fouiner dans les immondices. Présences de rongeurs et de reptiles En plus des graves maladies qu'ils risquent d'attraper, ils côtoient tous types de rongeurs et de reptiles. Vu que les déchets envahissent tout le site, les rats n'ont épargné ni petit ni grand. Samia, la trentaine, habite avec son mari et ses 4 enfants à Chabir depuis près de 10 ans. «J'ai été mordue par un rat il y a quelques semaines, nous confie-t-elle. Il m'a fallu 15 injections pour que je reprenne mes forces et éviter le pire». La vie dans ce village, selon cette jeune maman, est insupportable. «En l'absence de toutes les conditions d'hygiène, nos enfants sont malades à longueur d'année», déplore-t-elle. Son voisin attire notre attention sur d'autres problèmes tout aussi importants : pas de réseaux d'AEP ni d'assainissement, cela favorise la propagation des bestioles, des insectes et des maladies. En plus de cela, les familles de la partie haute de ce quartier ne sont pas raccordées au réseau électrique. «Chacun se débrouille comme il peut. Mais la plupart se sont lancés dans la fraude», ajoute-t-il. «Il a fallu que le vol de câbles soit conséquent pour que les autorités viennent nous installer les compteurs. Les familles qui se sont installées à Chabir après cette action sont encore dépourvues de cette commodité», s'exclame Abdennour, résidant à la partie haute de Chabir. Selon ses propos, il en est de même pour l'eau potable. Des branchements directs depuis la conduite principale alimentant la nouvelle cité mitoyenne ont poussé les autorités à agir. «Chabir est la cité de l'illégalité. Rien ne se fait dans les normes. Nous avons tous fait des demandes de logement social. La plus récente date de 10 ans et la plus ancienne fêtera bientôt ses 40 ans», se désole notre interlocuteur. Insécurité et délinquance Dès le crépuscule, ce village-décharge plonge dans une obscurité totale et effrayante. L'absence d'éclairage public encourage fortement la délinquance et la débauche. Chabir a longtemps été un lieu d'obscénité, aujourd'hui il l'est moins, mais il demeure toujours mal réputé. Les agressions y font l'actualité de tous les jours. En face de ce quartier «à haut risque», il existe un lycée et deux CEM. La présence de ces établissements scolaires est, selon la direction de l'éducation, une nécessité. «Ces dernières années, la concentration humaine s'est accentuée dans la périphérie de cette ex-décharge communale. Nous ne pouvions que répondre au besoin de la population», déclare M. Mouaouia, SG de la direction de l'éducation de Blida. Selon notre interlocuteur, durant la décennie noire, la situation était si infernale que la direction de l'éducation allait abandonner le lycée, qui date de la période coloniale, au profit du secteur de l'enseignement supérieur, et le CEM au profit d'une entreprise publique. «C'était une période très difficile pour les élèves du lycée. Pour les protéger, nous avons été contraints d'ouvrir une nouvelle entrée sur un quartier mitoyen. Si cela ne dépendait que de nous, nous aurions sûrement fermé les deux établissements. Mais sur la base de plusieurs engagements de la part des collectivités locales, quant à l'éradication des bidonvilles et de la décharge, nous les avons maintenus et avons créé un nouveau CEM», explique-t-il. Dans le même ordre d'idées, on apprend que le plus ancien des deux CEM va être transformé d'ici le début de la rentrée scolaire en une école primaire. Cet établissement était un collège technique et demeure habité par une dizaine de familles depuis la décennie noire. Les autorités locales ont promis de les reloger afin de rendre à ce collège sa vocation initiale. Sa conversion en école primaire rendra un très grand service aux petits gamins résidant à Chabir. Même s'ils ne sont pas nombreux, les écoliers doivent traverser, quatre fois par jour, plus de deux kilomètres pour rejoindre l'école la plus proche au centre de Boufarik. Cela, sans compter le fait qu'ils passent par un chemin boueux parsemé de déchets et envahi par les chiens errants : «On souhaiterait vivement vivre dans la décence», souhaite une autre maman résidente à ce village. Relogement des habitants de Chabir Cette situation lamentable dans laquelle vivent les habitants de Chabir n'est que provisoire du point de vue du président de l'APC de Boufarik. Ce tableau noir qu'affiche la vie dans ce village à ordures virera bientôt vers le rose. «La décharge est officiellement fermée depuis août 2008. Depuis cette date, le site, qui s'étend sur plus de 5 ha, est en cours d'étude pour l'éradication des déchets et sa décontamination».Selon le premier responsable de la commune, il servira d'assiette pour la réalisation d'une nouvelle gare routière. Concernant les 900 âmes qui y résident, elles seront toutes relogées, d'ici la fin 2012, dans un projet de 300 logements enregistrés dans le cadre de la résorption de l'habitat précaire.