La Russie entend reprendre place dans l'arène internationale. Cela est indéniable depuis quelques années, notamment depuis que ce pays a intégré le G7 devenu pour l'occasion G7 + 1, ou encore le groupe des pays les plus riches de la planète et la Russie. Une place acquise autrement que par la puissance économique. C'est également durant cette période que Moscou a affiché une plus grande activité diplomatique, même si rien n'est acquis par avance, le monde n'étant plus ce qu'il était il y a quinze ans. C'est en ce sens qu'il faut interpréter le geste du président russe, Vladimir Poutine, qui a invité les responsables du Hamas à se rendre à Moscou, faisant une intrusion remarquée dans un dossier géré en cercle très restreint par les Etats-Unis avec lesquels la Russie a partagé un communiqué également approuvé par l'ONU et l'Union européenne sur la conduite à tenir à l'égard du mouvement palestinien large vainqueur des élections législatives du 25 janvier dernier. Après avoir lancé des signaux et autres messages contre des sanctions qui pourraient frapper le peuple palestinien, M. Poutine a annoncé qu'il allait « inviter prochainement les dirigeants du Hamas à Moscou » pour rechercher une issue au conflit israélo-palestinien, ce que ce parti a aussitôt salué. « Lorsqu'une invitation nous sera adressée officiellement, nous l'accepterons par souci de renforcer nos relations avec l'Occident, notamment avec le gouvernement russe », a déclaré le porte-parole du Hamas, Sami Abou Zouhri. La France a dit oui à cette initiative. A l'inverse, les Etats-Unis ont, quant à eux, demandé à la Russie des éclaircissements sur ses intentions exactes, sur ses projets. Le porte-parole du département d'Etat, Sean Mc Cormack, a rappelé que Moscou appartient au Quartette pour le Proche-Orient, avec les Etats-Unis, l'Onu et l'UE, qui a appelé, la semaine dernière, le Hamas à reconnaître le droit à l'existence d'Israël. Dans un communiqué publié dans la soirée à Moscou, le ministère russe des Affaires étrangères a indiqué que la Russie a l'intention d'exhorter les leaders du Hamas à prendre des « décisions responsables » et à faire la paix avec Israël. Le président russe, dont le pays ne considère pas le parti palestinien comme terroriste, a souligné que le Hamas était arrivé au pouvoir « après des élections démocratiques et légitimes » et a appelé à « respecter le choix du peuple palestinien ». Les contacts russes peuvent être « utiles » pour faire progresser le processus de paix au Proche-Orient, mais le projet russe risque de provoquer des critiques en Israël et en Occident, estiment les analystes. Un haut responsable israélien, sous couvert de l'anonymat, a exprimé jeudi un vif mécontentement. Le président américain, George W. Bush, a réaffirmé jeudi la nécessité que le Hamas « reconnaisse le droit d'Israël à l'existence, renonce à la violence et dépose les armes ». Les Etats-Unis et l'Union européenne, qui considèrent le Hamas comme une organisation terroriste, ont conditionné la poursuite de leur aide financière à l'Autorité palestinienne au rejet de la violence par le mouvement radical palestinien, à la reconnaissance d'Israël et au respect de la Feuille de route, le plan de paix international pour la région, auquel plus personne ne croit, tant il a été vidé de sa substance et rendu inopérant par Israël. Bien entendu, Israël, fort de ce soutien occidental, s'accroche à ces conditions. Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Mark Regev, a réaffirmé qu'Israël n'aurait « aucun contact politique » avec le Hamas aussi longtemps que ces conditions n'auraient pas été remplies. M. Poutine estimait récemment que l'idée envisagée par l'UE de suspendre l'aide aux Palestiniens était « une grande erreur ». Il reste que cette initiative, qui doit faire face à un tir de barrage, est abondamment commentée, y compris dans la version dividendes pour Moscou. « La Russie a peut-être une chance de gagner de l'influence au Proche-Orient, mais reste à savoir si cette initiative aura du succès. Rien ne garantit qu'elle pourra réconcilier les parties qui s'affrontent depuis plusieurs décennies », note un expert de l'Institut russe du Proche-Orient, Evgueni Satanovski. « La politique extérieure russe revient à l'époque de l'URSS. Moscou soutient le Hamas, l'Iran vend des armes à la Syrie, flirte avec la Corée du Nord et Cuba. Mais ce désir de s'allier avec des pays frappés d'ostracisme, risque de mener à une impasse », met en garde le politologue russe Evgueni Volk de la Fondation Héritage. L'initiative russe risque « de ne pas plaire » en Occident et de « compliquer les relations de la Russie avec le G8 », estime l'expert. Plus directement, Moscou entend briser un cercle jusque-là fermé et c'est cela qui gêne.