Les relations algéro-libyennes s'apprêtent à entrer dans une nouvelle et probablement longue zone de turbulences après avoir traversé une période d'accalmie instaurée à la faveur d'une rencontre arrangée à Doha, en novembre 2011, entre le président Bouteflika et le chef du Conseil national de transition (CNT), Mustapha Abdeljalil. Et pour cause ! Mustapha Abdeljalil a carrément menacé samedi de rompre les relations diplomatiques avec l'Algérie et le Niger dans le cas où ils persisteraient à refuser de livrer à la justice libyenne les membres de la famille de Mouammar El Gueddafi qui ont trouvé refuge sur leurs sols à la veille de la chute de Tripoli. «Nous avons déjà adressé nos exigences aux Etats concernés, mais ils refusent de prendre des mesures pour extrader les partisans d'El Gueddafi vers la Libye et les empêcher d'agir contre la Libye», a-t-il soutenu dans une conférence de presse animée dans la capitale libyenne, précisant que «Tripoli pourrait rompre (ou réexaminer) les relations diplomatiques avec les pays qui refuseront de coopérer». Il a averti en outre que son peuple «ne pardonnera jamais» à ceux qui refusent de lui remettre des «criminels». Si le responsable du CNT n'a pas cité nommément l'Algérie et le Niger, il est néanmoins aisé de comprendre que son avertissement s'adresse sans l'ombre d'un doute à ces deux pays dans la mesure où ils sont les seuls dans la région à avoir accordé asile à la progéniture de l'ancien dictateur libyen. Mustapha Abdeljalil, qui était visiblement très remonté contre Alger et Niamey, a clos sa conférence de presse, largement reprise hier par les médias internationaux, en leur adressant une sévère mise en garde qui sonne comme un prélude à une crise diplomatique. «Si ces pays ne coopèrent pas avec nous sur cette question (l'extradition des enfants de Mouammar El Gueddafi), leurs relations avec la Libye pourraient arriver à un point dangereux», a-t-il fulminé, tout en sous-entendant au passage que l'Algérie et le Niger abritent également des partisans de l'ancien dictateur libyen sans pour autant fournir les preuves de ses accusations. Violations des droits de l'homme Le chef du CNT, dont les troupes sont accusées par de nombreuses ONG internationales de torture et de violations massives des droits de l'homme, a également omis de dire que le Niger a, par exemple, motivé son refus de livrer Saâdi El Gueddafi par l'inexistence d'une justice indépendante en Libye. M. Abdeljalil ne parle pas également de l'Egypte qui abrite plusieurs dizaines d'anciens partisans de l'ancien régime. Quoi qu'il en soit, la déclaration aussi véhémente qu'inattendue de Moustapha Abdeljalil intervient à un moment pourtant où l'Algérie et le CNT libyen semblaient avoir tourné la parenthèse El Gueddafi et décidé de repartir sur de nouvelles bases. Preuve en est, le secrétaire général du ministère libyen de l'Intérieur a séjourné récemment à Alger pour tenter de relancer avec son homologue algérien la coopération sécuritaire entre les deux pays, alors que le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, avait prévu de se rendre prochainement en visite à Tripoli. Le CNT en difficulté au plan interne La lettre adressée par le chef de l'Etat à Mustapha Abdeljalil à l'occasion du premier anniversaire du soulèvement libyen contre Mouammar El Gueddafi dans laquelle il avait encensé «la nouvelle Libye» avait laissé entendre que la hache de guerre était enterrée entre les deux pays et que l'heure était à la construction du grand Maghreb. Le constat avait été accepté, d'autant que le CNT n'avait pas fait du cas des enfants d'El Gueddafi un préalable à une normalisation des relations algéro-libyennes. Du moins pas publiquement. Les autorités libyennes avaient d'ailleurs même activement participé à la libération du wali d'Illizi. A l'inverse, la sortie de Mustapha Abdeljalil survient dans un contexte interne pour le moins difficile. Le CNT – qui paraît n'avoir aucune sorte d'emprise sur une Libye gagnée par la guerre civile – est vivement critiqué par la population libyenne pour son inaction, sa propension à prendre des décisions engageant l'avenir de la Libye dans l'opacité la plus totale, son incapacité avérée à désarmer les milices qui ont combattu le régime de Mouammar El Gueddafi et surtout à ramener la paix dans le pays. Dépourvu de légitimité aux yeux de nombreuses tribus et pris en étau par les anciens «thowar» qui réclament leur part du pouvoir et le retour sur la scène des combats des partisans de l'ancien maître de Tripoli, le CNT se trouve pour ainsi dire dans une impasse politique de laquelle il a du mal à se sortir. Mustapha Abdeljalil cherche-t-il, à travers le «dossier El Gueddafi», à créer une menace extérieure afin de se soustraire à la pression de la rue libyenne ? Pense-t-il pouvoir redorer son blason en obtenant l'extradition de Aïcha et de Saâdi El Gueddafi ? Difficile à dire. On retiendra juste qu'en politique tout est possible et que tous les coups sont permis. Au-delà, la tournure prise par les événements tend à prouver que les nouvelles autorités libyennes seront aussi encombrantes pour ses voisins que l'a été la Libye d'El Gueddafi. Ce qui est étrange, par contre, c'est le silence entretenu hier autant à Alger qu'à Niamey autour des déclarations incendiaires de Mustapha Abdeljalil. Il n'y avait pas moyen aussi de connaître les projets des deux pays concernant la famille El Gueddafi. Mais le moins qui puisse être dit c'est que leurs invités commencent à devenir aujourd'hui plus qu'encombrants. Surtout qu'ils paraissent être au centre d'une bataille politique à plusieurs inconnues.