L'affaire de ce qu'il convient d'appeler des acquittés d'Outreau a montré les défaillances du système judiciaire et l'emballement, encore une fois, de la machine médiatique. Du mensonge sont nés une chasse aux prétendus pédophiles orchestrée par les médias et l'aveuglement d'une justice rigide. En cette fin de 2001, la France retient son souffle avec effroi. Elle découvre, horrifiée, que des enfants étaient prostitués et battus par leurs parents. Des adultes, de toutes conditions sociales, abusaient d'eux moyennant finances. Les médias, principalement les chaînes de télévision, phagocytent l'affaire. Des reportages, des témoignages indignés, des analyses « psychologiques », les Français sont abreuvés à longueur de journée de sujets sur le « réseau pédophile » du Nord. « De mai à juillet 2004, s'est tenu à Saint-Omer le procès de l'affaire Outreau : 17 personnes sont accusées de faire partie d'un réseau de pédophilie. Elles sont présentées comme de vrais monstres, qui vendent des enfants, les violent et parfois les tuent. Il y a là des notables, un huissier, et sa femme qui vient en tailleur à des orgies dans une cité HLM, un curé qui tient en laisse un berger allemand lubrique, une boulangère qui fait trafic de cassettes de pédophilie en Belgique sous ses cartons de confiserie. Parmi ces accusés, 13 se disent innocents. Ils sont dénoncés par les quatre autres, deux couples de voisins. Au fil de l'audience, le procès se retourne en une sorte d'affaire Dreyfus, version RMI et au cinquième sans ascenseur », ironise Florence Aubenas, auteur de l'Affaire d'Outreau, l'une des rares journalistes à ne pas tomber dans l'hystérie médiatique. Quatre mois plus tard, les accusés ont tous été innocentés. Les témoignages des principaux accusateurs, le couple Delay-Badaoui, se sont avérés sans fondement. Le couple est revenu sur ses déclarations, les enfants ont finalement reconnu n'avoir pas été violentés. C'est juste une affaire de vengeance, de voisinage, de haine « ordinaire », qui a mal tourné. Au final, plusieurs vies brisées, et un suicide en prison. L'Assemblée nationale s'est emparée de l'affaire en créant une commission d'enquête pour hiérarchiser les responsabilités et analyser les dysfonctionnements. Les anciens monstres sont devenus « innocents nationaux », reçus par Jacques Chirac. « Je trouve assez curieux que les médias mettent autant d'acharnement à me mettre au trou qu'à me mettre au pinacle maintenant. La presse a un sacré mea-culpa à faire comme les juges qui sont très mal à l'aise. J'incite les gens de la presse à réfléchir sur le fait qu'ils sont un quatrième pouvoir sans contre-pouvoir », remarque l'abbé Dominique Wiel, condamné pour pédophilie avant d'être innocenté. La France découvre aussi, depuis la semaine dernière, le visage de la machine judiciaire. Les chaînes de télévision retransmettent, en léger différé pour pouvoir censurer les noms des enfants, les auditions du procureur de la République et surtout du juge d'instruction, Fabrice Burgaud. Certains dénoncent une justice spectacle. Le jeune juge, de 32 ans, bégaie, cherche ses mots, se réfugie dans des silences. L'audition devient embarrassante aussi bien pour le principal intéressé que pour le téléspectateur. Les magistrats refusent de servir de bouc émissaire. La défaillance, selon eux, ne serait pas que judiciaire mais aussi politique et médiatique. « Jusqu'au procès d'assises de Saint-Omer, les médias ont d'avance jugé et condamné toutes les personnes impliquées sans s'interroger sur les conséquences d'un telle médiatisation à charge, alors qu'en interférant dans l'enquête, elles ont pu agir sur le comportement des personnes mises en cause et influencer les décisions, notamment celles relatives à la détention provisoire », s'indigne Sabine Mariette, conseillère à la cour d'appel de Douai. Après la chasse aux pédophiles, la chasse aux juges ? « Si emportés par l'émotion ou la démagogie, sans se poser les questions essentielles, les parlementaires se contentent de désigner des boucs émissaires, ils failliront », avertit le Syndicat de la magistrature. Les médias ont réussi, pour l'instant, à éviter leur autocritique. « C'est un fait dans leur acharnement à bafouer la présomption d'innocence et à prononcer le verdict avant tout procès, les médias ont contribué à légitimer, voire conforter, l'acharnement de la machine judiciaire contre les accusés d'Outreau, avant que ceux-ci ne soient acquittés. Quant à s'interroger sur le rôle des médias, ce sera, comme d'habitude, pour une autre fois », constate amèrement l'observatoire des médias, Acrimed.