Dès 1966, sa voie était tracée. Il fut renvoyé du lycée pour avoir traduit en kabyle une pièce de théâtre sans l'aval de la direction de l'établissement scolaire. Depuis, le parcours de Saïd Sadi a été un long combat pour les libertés démocratiques que le pouvoir avait décidé d'étouffer dès l'indépendance du pays. Dans le flot de l'intox distillée sur tous les supports, notamment la Toile, il est possible de retrouver des documents d'archives «parlants», comme l'extrait d'un documentaire tourné en 1981 en Algérie par la chaîne française Antenne 2. Saïd Sadi avait 34 ans. Jeune médecin muté d'office et privé de salaire, il énonçait déjà un discours politique qui structurera le débat national pendant des décennies. Une année auparavant, il avait été traduit, avec 23 autres jeunes militants de la démocratie, devant la défunte Cour de sûreté de l'Etat sous des chefs d'accusation passibles de la peine de mort. Les acteurs du Printemps berbère avaient été libérés sous la pression de la population de Kabylie qui, pour la première fois dans l'Algérie indépendante, posait les jalons de la résistance populaire pacifique à l'encontre d'un régime autoritaire et hégémonique. Moins d'une décennie plus tard, la révolte d'Octobre 1988 emporta le système du parti unique et ouvrit la voie au pluralisme politique, avec l'espoir, de courte durée, d'asseoir la démocratie. La naissance du RCD en février 1989, suite aux assises du Mouvement culturel berbère (MCB), amènera des concepts nouveaux sur la scène nationale et imposera un débat autour de la modernité, de la laïcité, de la reconnaissance de la culture et de l'identité berbères. «La question berbère et le fait démocratique sont intimement liés et on ne peut pas les dissocier», déclarait Sadi dix ans plus tôt, lorsqu'il était dirigeant du MCB, pourchassé par la police politique. La question des droits humains était également au cœur du combat de cette génération de jeunes de militants, qui ont connu une deuxième comparution devant la Cour de sûreté de l'Etat, en août 1985, pour avoir créé la première Ligue algérienne des droits de l'homme, interdite puis clonée et dénaturée. Ces arrestations, au temps de la redoutable Sécurité militaire, étaient synonymes de tortures et Sadi s'en était sorti, une fois, avec un décollement de la rétine. Le combat contre le règne violent du parti unique se muera, plus tard, en résistance contre la vague islamiste qui a déferlé en 1991, à la faveur d'un processus électoral dévoyé. «Nous ne vous laisserons pas arriver au pouvoir», lançait Saïd Sadi sur un plateau de la télévision nationale à Abassi Madani, chef de l'ex-FIS, qui faisait plier alors les plus hautes autorités du pays. Le chef intégriste rétorquait, devant les démocrates, par l'expression d'«adolescence politique». On saura plus tard que la maturité politique, chez les islamistes, était de prendre les armes contre son propre peuple. Lorsque le terrorisme abattit sa chape de plomb sur des régions entières du pays, Saïd Sadi lança son appel à la résistance citoyenne, en mars 1994. La mobilisation de la population contre l'hydre islamiste donnera rapidement des résultats sur le terrain, pourchassant les groupes islamistes armés dans leurs repaires. Ils seront sauvés, quelques années plus tard, par la politique de réconciliation, de concorde et d'amnistie, dont on subit jusqu'à ce jour les retombées meurtrières. Devant la collusion évidente entre la sphère dirigeante et le courant islamiste dans toutes ses variantes, des démocrates, dont Saïd Sadi, tentèrent, à l'hiver 2011, de provoquer un sursaut national pour contraindre le système politique en place à tirer les conséquences des révolutions à nos frontières, qui ont emporté des dictatures et redonné la voix aux peuples. L'on avait alors assisté à l'un des déploiements policiers rarement observés dans l'histoire des dictatures. Des générations de militants n'ont pas pu imposer un changement démocratique dans le pays, mais d'autres jeunes, comme en 1966, dans les lycées ou les campus, sont déjà animés du «feu sacré du combat».