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« Migration des femmes, une mémoire oubliée »
Fatiha Dahmani-Lovichi (Sociologue)
Publié dans El Watan le 14 - 02 - 2006

Sociologue de formation d'origine algérienne, Fatiha Dahmani-Lovichi a entamé un travail de mémoire sur les premières Algériennes qui ont émigré en « métropole » entre 1950 et 1961.
Quelles ont été les motivations de votre démarche que vous qualifiez de « travail de mémoire » ?
L'idée de départ est d'ordre personnel et intellectuel. Femme d'origine algérienne, née dans l'exil de mon père et de ma mère dans une petite courée à Roubaix, dans le nord de la France, et attachée à la terre de mes parents - un petit village dans le nord-ouest de la wilaya de Bouira. Je porte un intérêt particulier à la question de l'exil, de l'émigration, quelles que soient les communautés. L'immigration est une rupture violente par nature et d'autant plus violente, et difficile parfois à assumer, lorsqu'elle s'opère dans un contexte de colonisation, de guerre. Je pense plus particulièrement à l'immigration algérienne, notamment aux premières femmes qui ont émigré vers la France entre 1950 et 1961. C'est une génération qui tend à disparaître avec son histoire d'exilées que l'on réduit trop souvent à la question du regroupement familial. Une génération oubliée. Or cette génération de femmes « invisibles », aujourd'hui devenues grands-mères, sont porteuses d'une mémoire enfouie dans le silence et ont donné naissance à une autre génération, que l'on nomme communément « seconde génération », ou « jeunes issus de l'immigration », devenus témoins de leur filiation. L'existence de ces femmes n'a pas démarré à partir du moment où elles sont arrivées en France. Emigrer, c'est émigrer avec son histoire et l'histoire de son pays. Aujourd'hui, que savons-nous de leur histoire d'émigrées et d'immigrées ? Peu de choses. Concernant notamment les causes qui ont présidé à leur départ, leur exil, leur ancrage, les différentes ruptures que ces femmes ont connues. J'ai souhaité donner la parole à ces femmes et je suis allée à leur rencontre dans la perspective de reconstruire avec elles leur trajectoire à partir de leurs récits de vie.
Vous évoquez ces « femmes oubliées », quelle place tiennent-elles dans les études sur l'immigration en France ?
Au sein des études, ces femmes sont quasiment inexistantes. En général, les thèmes sur l'immigration algérienne ont longtemps été des objets relégués au dernier plan de la recherche. L'immigration a d'abord été principalement étudiée sous l'angle économique comme force de travail, et la théorie des coûts et profits. Donc réduites à une fonction instrumentale, sans s'interroger sur les causes qui ont rendu vacante cette main-d'œuvre. Avec le temps, on est passé d'une immigration de travail à une immigration familiale. Une immigration qui s'installe. De nouveaux thèmes sont apparus dans le champ de la recherche : logement social, échec scolaire, intégration, assimilation, insertion, territoire et banlieue, etc. Les problématiques privilégiées étaient celles relatives à l'adaptation à la société d'accueil, sans tenir compte de la problématique du départ, des causes et du processus d'émigration. Or comme le dit le sociologue algérien Abdelmalek Sayad, seul l'immigrant est pris en compte dans ces approches. Alors que « émigré » et « immigré » sont deux faces indissociables étroitement liées l'une à l'autre, l'une expliquant l'autre. Au niveau des travaux de recherches ou des études, nous avons l'impression qu'on ne s'intéresse à l'immigration que lorsqu'elle poserait un problème à la société d'accueil. On constate que concernant les travaux de mémoire relatifs à l'immigration algérienne, les projets ou les productions réalisés restent généraux ou semblent davantage centrés sur les hommes. En somme, c'est comme si les mémoires algériennes semblent au masculin.
Quels ont été les bouleversements provoqués par cette immigration des familles ?
Pendant cinquante ans et de manière quasi continue, l'immigration a été principalement rurale et masculine. Une immigration d'hommes mandatés par leurs groupes d'appartenance pour une durée de travail limitée. Une immigration organisée et structurée. Cette forme d'immigration d'hommes seuls, laissant femmes et enfants dans le pays, avait pour fonction d'assurer, par le biais des revenus monétaires, la subsistance à la famille élargie et permettait aussi à la communauté de se perpétuer en tant que telle. Elle permettait par exemple de racheter des parts de terres indivisés, de lever l'hypothèque sur une terre, de rembourser les dettes, etc. Les valeurs communautaires étaient au cœur des processus de solidarité avec une forte référence au groupe d'appartenance. C'est dans cet esprit que se réalisait l'émigration des hommes seuls. Dans les années cinquante, une nouvelle forme d'immigration s'est amorcée : celle des femmes, des familles. Cette forme d'immigration met fin, en quelque sorte, aux formes et aux fonctions premières de l'antérieure immigration. Le départ de ces femmes et de ces familles signifiait un ancrage en France. Par ailleurs, ces départs cristallisent encore aujourd'hui des souvenirs chargés d'émotions. Partir était perçu par le groupe d'appartenance comme un manquement à la morale du groupe. Une rupture avec les solidarités villageoises. Une sorte de trahison, amplifiée par le contexte du colonialisme et le début de la guerre d'Algérie. Partir, pour ces femmes mêmes, était perçu comme un acte honteux. Mais avaient-elles le choix lorsque les durées d'immigration de l'époux devenaient de plus en plus longues ? De ce fait, le statut social de ces femmes devenait marginal au sein de la famille. Pour certaines, leur statut matrimonial était menacé, étant donné que certains hommes, en rupture avec le village ou la famille même, s'installaient parfois avec des Européennes en France. Certaines étaient abandonnées, voire répudiées et livrées à la misère. D'autres élevaient seules leurs enfants sans référence masculine. Elles assumaient les travaux d'extérieur et d'intérieur. La durée d'absence entrecoupée de brefs séjours pouvait atteindre sept ans. A cela s'ajoute le contexte de la guerre qui avait atteint son paroxysme entre 1954 et 1959, donc insécurité totale pour ces femmes sans mari. Il y avait aussi le déplacement violent des populations dans des camps qui a contribué à anéantir les derniers liens de solidarité et à faire éclater les familles. C'est dans ce contexte douloureux que s'est opéré le départ des premières femmes.
Et quand elles arrivaient en France...
Ces femmes ne partaient pas pour l'eldorado ! C'était un déchirement. « Lorsque je suis partie, j'ai marché, avec mes enfants, je ne pouvais pas et je ne voulais pas me retourner. Derrière moi, j'ai laissé ma terre, ma mère, ma famille », m'a raconté une de ces femmes. Cette dame a pris le bateau avec ses enfants pour Marseille. A l'arrivée, son mari les attendait et la femme a dit à sa petite fille de huit ans : « C'est ton père, embrasse-le. » La petite a dit : « Non, ce n'est pas mon père » et lui donnait des coups de pied. Son père l'a prise dans ses bras et a pleuré en disant : « El ghorba fait que même mes enfants ne me reconnaissent plus. » Ce n'était pas également une immigration qui était organisée et prévue. Certaines femmes ont habité une pièce au-dessus d'un café. (...) Le désir de ces femmes était de réunir leur famille... L'arrivée de ces femmes dévoilait et révélait une immigration qui était devenue une fin en soi et simultanément se mettait en route un processus d'intégration.
Votre travail se déroule des deux côtés de la Méditerranée, à Roubaix-Tourcoing et à Bouira, pourquoi ce choix ?
Depuis le début du XXe siècle, le Nord a été une terre d'immigration. Une terre d'industrie, notamment le textile. C'est également un foyer important du nationalisme algérien. En 1912, il y avait 1500 travailleurs algériens dans le Nord-Pas-de-Calais, sur 5000 travailleurs en France. Les femmes représentaient, jusqu'en 1946, 2% des effectifs selon l'INSEE. En 1954, elles représentaient 6,5% et en 1962, 17%. On constate la concentration des immigrés originaires de la wilaya de Bouira (communes de Djebahia, Aomar, Aït Aziz, Bouira, Lakhdaria, Aïn Bessam, Aïn Tork) à Roubaix-Tourcoing.
Vous avez choisi de faire des entretiens « récit de vie » à Roubaix et à Bouira. Pourquoi cette démarche ?
J'ai souhaité apporter un double éclairage, un regard croisé : appréhender, d'une part, la question de l'exil et de l'ancrage à travers une double dimension spatio-temporelle et, d'autre part, croiser certains thèmes de récits de vie recueillis en France, auprès des femmes, avec ceux recueillis en Algérie auprès de témoins de l'époque ayant connu des femmes et, plus largement, des familles qui ont émigré.
Vous êtes en plein travail de terrain avec des séries d'entretiens à Roubaix et à Bouira. Est-ce que vous envisagez d'en tirer un ouvrage ?
Bien sûr, mais ça ne sera pas un ouvrage qui prétend à une objectivité historique ou sociologique. Je souhaite donner une place centrale aux récits de vie de ces femmes, éclairés par des repères historiques, sociologiques et économiques. Le but est aussi de le publier en France et en Algérie, en arabe et en français. Et je tiens à dire que ce travail a pu être lancé grâce au Centre culturel français, la wilaya et l'APC de Bouira qui est, par ailleurs, jumelée à Roubaix, pour rapprocher aussi les deux rives de la Méditerranée. Le livre sera dédié à ces femmes qui ont eu une trajectoire singulière et exceptionnelle.


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