Voilà une histoire qui, une fois n'est pas coutume, ne devrait étonner personne. Elle se déroule en Irak et elle est celle d'Irakiens vendant du pétrole irakien à d'autres Irakiens. Il fallait bien que cela arrive tant le processus de morcellement de ce pays paraît bien avancé, avec des entités qui émergent à force de multiplier jusqu'aux symboles de souveraineté, bien que la Constitution du pays (de type fédéral) ne prévoie pas ce cas de figure. Cette fois, le pas a été franchi, puisque les territoires sont devenus des entités disposant du pouvoir d'exploiter le sous-sol et d'en être l'unique bénéficiaire, le plus avancé d'entre eux étant le Kurdistan, obligé de tenir compte du contexte international pour ne pas aller au-delà d'une certaine situation. C'est ce qui vient de se produire entre les autorités centrales irakiennes et la région autonome du Kurdistan irakien. Celle-ci ayant indiqué avoir cessé ses exportations de pétrole en raison d'un litige financier avec le gouvernement central avec lequel elle est en conflit depuis des mois. Même les mots sont soigneusement pesés. L'on parle d'exportation et non pas d'approvisionnement ou encore de fourniture, le premier suggérant une transaction commerciale, donc une contrepartie financière suivant le cours mondial, puisque «le gouvernement fédéral de Baghdad n'a pas honoré ses engagements financiers», selon un communiqué du ministère kurde des Ressources naturelles. Ce qui a laissé sans voix les autorités centrales, malgré la mise en garde du vice-premier ministre irakien, Hussein Chahristani. «Je leur conseillerais, avant de proférer des menaces, de prendre en compte le (montant de revenus du) pétrole qu'ils reçoivent du reste du pays, qui est beaucoup plus important que ce qu'ils produisent», a-t-il dit. Là, le débat devient technique, alors même que le fond de la question est éminemment politique. Aussi, apprend-on de même source, le Kurdistan se voit allouer 17% du budget fédéral de l'Irak alors que sa part dans les exportations de pétrole du pays est moindre. Dans ce même ordre d'idées, le Kurdistan irakien est accusé, par le même responsable irakien, de vendre une grande partie de son pétrole en contrebande via la frontière iranienne, privant l'Irak et ses citoyens de milliards de dollars de recettes pétrolières. «Le Kurdistan n'a pas de raffinerie et donc la plus grande partie est vendue frauduleusement hors d'Irak, en particulier via la frontière iranienne», a-t-il dit. Selon le ministre du Pétrole, le brut transite en fraude via l'Iran vers le Golfe, où il est vendu à des prix inférieurs à ceux du marché, ainsi que vers l'Afghanistan. Il n'y a aucun risque de guerre du pétrole ou pour le pétrole, mais cette question relance le débat, souvent étouffé ou encore détourné, sur l'Irak et son avenir. La Constitution a bien prévu l'institution d'une fédération, mais très souvent, des entités sont accusées d'aller bien au-delà de ce que peut prévoir un tel cas de figure pour envisager la formule définitive de l'évolution des Etats qui est celle de l'indépendance. Les Kurdes se gardent de le faire, même s'ils en sont accusés et cela depuis 1991. Depuis cette date – correspondant par ailleurs à l'instauration par les Etats-Unis de deux zones d'exclusion lors de la première guerre du Golfe – ils ont mis en place leurs propres institutions, y compris un Parlement et des forces armées. L'Irak vit ce qui s'apparente à un conflit territorial autour de la ville de Kirkouk, celle-ci n'étant que la plus connue des localités situées sur une bande de terre longue de 650 km à cheval sur quatre provinces, connue pour être riche en hydrocarbures et convoitée aussi par des compagnies pétrolières internationales. Bien entendu, un tel débat est suivi avec intérêt par tous les Irakiens, certains ne voulant pas être les perdants. Que sera l'avenir de l'Irak, alors qu'il multiplie les chantiers afin d'effacer les séquelles d'une guerre qui a bouleversé ses équilibres intérieurs et élevé des barrières entre ses communautés ?