Longtemps tributaire de la générosité des pouvoirs publics, l'action culturelle pourrait bien s'affranchir de cette dépendance grâce à une loi que d'aucuns qualifient de révolutionnaire. Pour on ne sait quelle raison, ce texte est resté jusque-là dans l'ombre, ignoré par les principaux concernés. Lors d'un séminaire organisé par le ministère de la Culture, le 22 mars dernier à Zéralda, au profit des commissaires de festivals, ces derniers ont découvert l'existence de cette loi en faveur du sponsoring culturel. Un texte fort et clair qui lève les barrières et ôte toute raison d'être à la frilosité, voire la révulsion manifestées depuis toujours par les opérateurs économiques à l'égard des événements culturels, quand il s'agit de mettre la main à la poche. Il s'agit du décret exécutif n°11-129 du 22 mars 2011 relatif à la déduction des dépenses de sponsoring, de patronage et de parrainage des activités à vocation culturelle, de l'impôt sur le revenu global ou de l'impôt sur les bénéfices des sociétés (JORA n°18 du 23 mars 2011). Ce texte, publié voici donc une année, est le fruit de trois années de travail au bout desquelles Khalida Toumi a réussi à convaincre le gouvernement et ensuite le Parlement du bien-fondé du projet et de sa portée stratégique. En vérité, il s'agit d'une loi inédite qui risque de transformer à jamais le paysage culturel et permettre un saut qualitatif pour l'ensemble des acteurs motivés par la production intellectuelle, le spectacle ou la protection du patrimoine. Hormis les opérateurs téléphoniques et, à un degré moindre, Sonatrach, qui consacrent une part de leurs budgets au financement d'événements, le sponsoring culturel en Algérie demeure à l'état préhistorique. Auparavant, «l'aumône» versée aux événements culturels était déduite des charges de l'entreprise. Pas très stimulant pour les patrons ! Dans le monde et chez nos voisins, le secteur privé constitue la principale source de financement du fait culturel et est reconnu comme responsable de la dynamique culturelle. Cette dynamique constitue elle-même un baromètre de la santé de la nation et un moteur de développement et d'émancipation des sociétés. L'argent, talon d'Achille de la culture En Algérie, quelque 170 festivals institutionnalisés par le ministère de la Culture sont plus ou moins à l'abri du besoin grâce au financement garanti par la tutelle. Mais cette nouvelle donne introduite par le département de Toumi voilà quelques années, dont on ne peut nier la fraîcheur qu'elle a insufflée à la vie culturelle nationale, a des limites. En effet, ces budgets annuels grèvent bien entendu le Trésor public, à quoi s'ajoute l'exclusion de milliers d'acteurs culturels, notamment dans le tissu associatif, des largesses de l'Etat. Dans les villes et villages de l'intérieur du pays, la soif d'activité culturelle est inversement proportionnelle à l'insignifiance, voire l'inexistence de financements. Le financement, maillon faible de la chaîne de production culturelle en Algérie, est en passe d'être consolidé et assuré par cette nouvelle loi qui libère le sponsoring privé. «Cette disposition va permettre l'indépendance financière aux acteurs culturels, ce qui, par ailleurs, va apporter un plus aux efforts de financement consentis par les pouvoirs publics», se réjouit Azeddine Guerfi, éditeur et commissaire du Festival de la littérature et du livre jeunesse (FELIV). Djamila Hamitou, présidente de l'association qui pilote le festival du conte Le Petit lecteur, s'étonne de l'existence de cette loi et affirme ne jamais en avoir entendu parler : «Je viens d'apprendre l'existence de ce texte grâce à vous et ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd ! Nous allons nous pencher là-dessus et tirer tous les bénéfices s'il en trouve, bien que je ne sois pas confiante dans le privé algérien. Parlez-lui du couffin du Ramadhan, mais ne lui parlez jamais du livre.» Une loi stratégique Cette association vivote avec de modestes montages financiers depuis six ans que l'événement existe. Notre interlocutrice ne cache pas sa joie de savoir qu'une telle possibilité puisse exister et rêve déjà de revoir à la hausse les ambitions du festival. Le potentiel d'espoir et de dynamique est en effet considérable. Imaginez la restauration de La Casbah financée par des patrons algérois ! Imaginez les festivals de Timgad, de Constantine, d'Oran et tous les rendez-vous culturels sur le territoire national, pris en charge par les investisseurs locaux ! C'est là où la décision du gouvernement apparaît dans toute sa portée structurante et stratégique. Le ministère des Finances a revu à la baisse les ambitions de la ministre, qui a demandé de plafonner à 60 millions de dinars les fonds destinés au sponsoring. Toutefois, la victoire est grande. Désormais, n'importe quel opérateur économique peut signer des chèques allant jusqu'à 30 millions de dinars (3 milliards de centimes) au profit d'événements ou de projets culturels sans perdre le moindre sou, puisque la somme exacte est déduite de la masse d'impôts dont il est redevable envers les caisses de l'Etat. Cette disposition a été précédée, en 2010, par une autre décision d'exemption de la TVA. En effet, l'article 9 du code des taxes sur le chiffre d'affaires stipule, dans son alinéa 12, que sont exempts de la taxe sur la valeur ajoutée «les manifestations sportives, culturelles ou artistiques et, de manière générale, tous les spectacles organisés dans le cadre des mouvements nationaux ou internationaux d'entraide». Malheureusement, cette loi n'a pas été suivie de textes d'application et demeure inutile. Qu'importe ! A présent, le décret concernant l'IBS et l'IRG semble largement suffisant. Ceci dit, un travail de sensibilisation et de vulgarisation s'impose à l'adresse des associations patronales, souligne encore Azeddine Guerfi. Ateliers, journées d'étude semblent indispensables pour donner enfin vie à cette loi qui pourrait avoir l'effet de la pénicilline du temps de Fleming !