Après le luxe, les entreprises, l'hôtellerie, les châteaux, le Qatar s'attaque à la télévision l El Jazeera Sport fait une entrée fracassante en achetant les droits de la Ligue1 et de la Champion's League l La chaîne compte utiliser la France comme tête de pont pour conquérir l'Europe l Juin s'annonce chaud. Paris De notre correspondant Le grand match El Jazeera-Canal+ est pour bientôt, et le combat s'annonce sans pitié. La chaîne cryptée a, jusqu'à présent, gagné tous ses duels. Le bouquet TPS a dû se résoudre à se laisser acheter par «la chaîne du foot», et Orange Sport vient de décider de jeter l'éponge. Aucun concurrent n'a réussi à ébranler Canal+. Quid d'El Jazeera ? La plupart des analystes avouent ne savoir que penser de la stratégie de la chaîne qatarie, tant les critères économiques classiques ne peuvent être appliqués à El Jazeera. Dans les premiers temps, les pertes seront colossales, car elle doit faire face à un marché concurrentiel saturé et surtout à un opérateur historique qui a révolutionné les sports à la télévision. El Jazeera dispose d'un atout majeur : un matelas financier très confortable. Elle a commencé par recruter Charles Biétry, ancien directeur des sports de la chaîne cryptée et ancien président du PSG, actuellement propriété du Qatar. Elle marque les esprits dans la guerre psychologique en s'adjugeant les droits de retransmission du football en France avec, dans sa future offre 80% du championnat de Ligue 1 et 133 matches de la Ligue des champions. A Canal+, on se veut rassurant, malgré la défection de deux animateurs qui sont passés chez l'adversaire. «Notre stratégie a été de concentrer nos investissements pour améliorer notre offre dans le sport. Aujourd'hui, nous avons l'offre de foot la plus forte qu'on ait eue depuis des années sur Canal+ avec les deux premiers matches de Ligue 1, le premier choix de la Ligue des champions et la Premier League. Nous sommes persuadés que pas un seul abonné ne va partir», souligne Rodolphe Belmer, le numéro deux de la chaîne cryptée. Cette assurance cache pourtant une certaine appréhension, car la chaîne est attaquée sur son ADN : le football. Se retrouver avec les meilleurs matches mais en quantité réduite est une posture inconfortable, exigeant de revoir la stratégie commerciale. Les abonnés franchiront-ils pour autant le pas et se désengageront-ils pour tester l'offre d'El Jazeera ? Les passionnés du sport pourraient être d'autant plus tentés de prendre un double abonnement que le prix de lancement de be in Sport 1 et 2 - 11 euros - est plus bas que prévu. «Il faut s'attendre plutôt à des doublons qu'à des transferts, car la plupart des abonnés de Canal ne voudront pas se désabonner et perdre les plus belles affiches», estime Jérôme Bodin, analyste chez Natixis. Après la France, l'Europe El Jazeera part à la conquête de la télévision payante en Europe en utilisant la France comme tête de pont pour le lancement de chaînes de sport ciblant pour la première fois des marchés locaux. Le groupe qatari fera son entrée dans le paysage audiovisuel français début juin, soit juste avant l'Euro de football, en proposant deux chaînes au prix de 11 euros par mois. Francophones, les deux chaînes auront néanmoins un patronyme international, be IN Sport 1 et 2, dans le but affiché de servir de tremplin à une expansion d'El Jazeera Sport dans d'autres pays, notamment en Europe. Après une razzia sur les droits télévisés du football en France, le groupe de télévision, détenu par le riche émirat du Qatar, pourrait maintenant jeter son dévolu sur la Premier League, dont les droits de diffusion pour le marché britannique devraient être remis en jeu au cours des trois prochains mois. «Les Qataris considèrent le sport comme un point d'entrée sur la scène mondiale, et la prochaine pièce du puzzle pourrait bien être une importante acquisition en termes de droits», estime Graham Shear, un avocat spécialiste du sport. En moins de dix ans, El Jazeera est devenu le principal diffuseur de sport au Moyen-Orient et en Afrique du Nord via son bouquet d'une quinzaine de chaînes en anglais et en arabe.En prenant pied en Europe, le groupe, principalement connu pour sa chaîne d'information pourrait s'imposer comme une marque internationale dans le sport et les médias, et aider le Qatar à se forger une légitimité dans le football dans la perspective de la Coupe du monde 2022 dont le petit Etat de 1,5 million d'habitants sera l'organisateur.