Des centaines de manifestants ont accompagné, hier après-midi, nombre de députés de l'Assemblée constituante jusqu'au siège du ministère de l'Intérieur, situé sur l'avenue Habib Bourguiba. De notre envoyé spécial Nouri Nesrouche Les députés étaient venus contester auprès du ministre de l'Intérieur, Ali Laârayedh, sa décision d'interdire toute manifestation sur l'artère principale de la capitale et exprimer leur indignation face à la répression sanglante, par la police, de la marche pacifique qui a eu lieu lundi. Durant la matinée, ils se sont retirés de la séance d'audition du ministre de l'Economie et sont allés rencontrer le président de l'Assemblée, Mustapha Ben Jaafer, pour exiger l'organisation d'une séance urgente et exceptionnelle avec Ali Laârayedh. Les manifestants, stoppés hier devant l'immeuble du ministère par un renfort impressionnant de police, de gardes républicains et de barbelés, sont restés là, lançant des slogans demandant le départ du gouvernement et exigeant de rendre l'avenue au peuple. Fait inédit, d'autres groupes spontanés se sont formés sur place, mais cette fois pour soutenir le gouvernement et apporter la contradiction à l'autre groupe, prétextant surtout de la panne commerciale dont souffrent les boutiquiers de l'avenue et l'image écorchée qui nuit au tourisme local.Des échanges parfois irrévérencieux ont suivi entre les uns et les autres, sous le regard des policiers en tenue de combat, matraques et lance-bombes lacrymogènes à la main. Tewfik Dimassi, cadre au ministère, a déclaré à la presse que l'interdiction de manifester et les moyens utilisés pour empêcher des marches, comme celle de lundi, sont calqués sur les méthodes employées dans les pays les plus avancés, citant l'exemple de la France. Il a aussi justifié les actes de la police, comme l'a fait avant lui le porte-parole du ministère : «Nos éléments n'ont fait que réagir aux provocations des manifestants qui ont usé d'insultes insupportables et lancé des pierres.» En réponse à une question relative à l'agression de journalistes et de personnalités connues, il a répondu que les personnes agressées n'ont qu'à signaler leurs agresseurs et porter plainte devant les instances de justice. D'ailleurs, a-t-il ajouté, des éléments ont été suspendus depuis qu'il a été prouvé leur implication dans des violences à l'encontre de reporters qui étaient sur le terrain lors de la marche de lundi. La commémoration de la Journée des martyrs, en souvenir de la répression sanglante par les troupes de la France colonialiste d'une manifestation à Tunis le 9 avril 1938, a connu une violence inouïe, lundi, entre l'avenue Bourguiba et le boulevard Mohammed V. Plusieurs arrestations ont été opérées et des blessés ont été enregistrés, parmi lesquels des journalistes, des défenseurs des droits de l'homme et des intellectuels, notamment des femmes. A l'appel d'un nombre de partis politiques et d'organisations de la mouvance démocratique, des milliers de citoyens sont descendus revendiquer le droit de manifester sur l'avenue Bourguiba, considérée comme lieu symbole de la résistance et de la libération du joug de Ben Ali. Trois semaines auparavant le ministère de l'Intérieur, dirigé par un ministre du parti islamiste Ennahda, avait interdit les manifestations suite aux heurts enregistrés entre salafistes et modernistes. D'ailleurs, la manifestation des chômeurs diplômés et celle des victimes de la révolution ont été pareillement réprimées la semaine passée. Ceci dit, la police a laissé faire, hier, et n'est pas intervenue face aux manifestants qui ont occupé deux heures durant l'avenue Bourguiba. Laârayedh aurait-il cédé à la pression des démocrates ?