Le Premier ministre irakien traîne une bien inquiétante accusation, celle de faiseur de guerre aux Irakiens qui ne seraient pas de son bord, ce qui suscite une forte inquiétude au sujet de questions d'une extrême sensibilité que lui, bien entendu, refuse de considérer comme telles. Comment, en effet, considérer autrement la récente sortie du chef de la région autonome du Kurdistan affirmant, au sujet d'un projet de vente d'armes américaines, que «les F-16 ne doivent pas arriver dans les mains de cet homme. Nous devons empêcher qu'il possède ce type d'armes et s'il les obtient, il ne doit pas rester à son poste» ? En soulevant une question aussi importante, adossée à une accusation d'une telle ampleur, c'est que rien ne va plus en Irak, à supposer que cela allait depuis la chute du régime de Saddam Hussein. Ce qui n'est pas le cas puisque le fédéralisme, dans sa forme actuelle, a été arraché par différentes parties, envisageant elles-mêmes, autrement, aussi bien les rapports de leurs communautés respectives avec l'autorité centrale et leur avenir, l'option la plus sérieusement envisagée étant celle de la séparation, donc l'éclatement de l'Irak. Tout juste bon pour exacerber la situation actuelle issue des affrontements intercommunautaires, lesquels ont entraîné d'importants déplacements de populations. Depuis peu, la mosaïque irakienne a cessé d'exister, remplacée par des entités ethniquement homogènes. En décembre 2011, les Etats-Unis avaient donné leur accord pour vendre 36 F-16 à l'Irak. Sans en apporter le moindre élément de preuve, Massoud Barzani prétend que, lors d'une réunion avec des officiers de l'armée irakienne, M. Al Maliki aurait menacé d'utiliser ces appareils pour frapper le Kurdistan, un territoire qui a pris autant de distance que de libertés avec le pouvoir central, comme en témoigne la récente crise du pétrole, le Kurdistan étant accusé de vouloir garder pour lui les richesses contenues dans cette région, sinon de faire de l'Irak un client comme les autres. Ce n'est donc là qu'un épisode de plus dans ce rapport où Massoud Barzani accuse le chef du gouvernement irakien de se conduire en dictateur en concentrant tous les pouvoirs entre ses mains. Le Premier ministre irakien reproche, pour sa part, au dirigeant kurde de signer des accords pétroliers sans l'agrément de Baghdad et de se livrer à de la contrebande de produits raffinés vers l'Iran et l'Afghanistan. Se présentant en tant que médiateur entre les deux hommes, le chef radical chiite, Moqtada Sadr, se déclare opposé au renversement immédiat du gouvernement irakien, mais refuse que Nouri Al Maliki puisse se présenter en 2014 pour un troisième mandat, alors même que rien ne l'en empêche, sauf le vote des Irakiens. Sur un autre plan, le Premier ministre turc accuse son homologue irakien, qui vient d'achever une visite officielle en Iran, de «faire un show» pour avoir affirmé que la Turquie était en train de devenir un ennemi dans la région. Ce que l'on retiendra toutefois de la réplique de M. Erdogan, c'est son assurance que son pays ne faisait «pas de distinction entre chiites et sunnites», ce qui renvoie à un débat d'une autre nature. Nouri Al Maliki, un chiite, a affirmé que la Turquie était en train de devenir un ennemi dans la région en cherchant à la dominer et à interférer dans les affaires internes de ses voisins. Le prétexte est fourni par la crise syrienne dans laquelle la Turquie soutient l'opposition syrienne, contrairement à l'Irak qui a pris le parti du régime en place. Difficile de croire que la crise syrienne en serait le prétexte, sinon l'unique. En effet, en une semaine, M. Erdogan a reçu le vice-président sunnite irakien, Tarek Al Hachémi, poursuivi par la justice de son pays qui l'accuse d'avoir dirigé un gang de tueurs, et Massoud Barzani. Comment, dans de telles conditions, ne pas s'interroger sur le rôle de la Turquie, elle qui est, juste après l'Iran, le deuxième partenaire commercial de l'Irak avec un volume d'échanges de 12 milliards de dollars en 2011 que Ankara voudrait porter à 20 ou 30 milliards en 2012 ? Comment envisager ainsi l'avenir, entre Irakiens d'abord et entre l'Irak et ses voisins, si le cadre venait à se brouiller davantage ?