sommes-nous en train d'assister au renouveau de la contestation dans le cinéma américain, à l'instar de ce qui a pu se passer dans les années 1940 et 1950 ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, mais trois films sont venus récemment annoncer la fin de la trêve entre le premier et le quatrième pouvoir, dont fait partie la machine de guerre hollywoodienne. Lord of War d'Andrew Nicoll porte un regard impitoyable sur les marchands d'armes, qui, au sein des lobbies politico-militaire, arrivent à déclencher des guerres que d'autres se chargeront de justifier après coup. On s'attardera cependant ici sur le rôle artistique et politique de George Clooney dans les deux autres films. Comme acteur d'abord, il triomphe au dernier festival de Berlin dans Syrina écrit et réalisé par Stephen Caghan, mais qu'il a également coproduit. Dans ce thriller décapant, l'ancienne révélation de la série Urgences, incarne un ancien de la CIA, qui, alors qu'il était en poste au Moyen-Orient, se voit charger pour sa dernière mission d'éliminer physiquement le prince Nasser, héritier progressiste du trône d'un des Emirats du Golfe. Raison de ce contrat : le prince a décidé d'accorder un permis de forage à une compagnie chinoise au détriment du géant texan, Connex Oil. Inutile d'être devin pour comprendre que cette compagnie texane fait allusion aux liens supposés qu'entretiendraient les président Bush et vice-président Cheney avec les compagnies pétrolières du Texas. Clooney a d'ailleurs profité à Berlin de sa notoriété pour ironiser sur Dick Cheney et ses parties de chasse. Syriana se situe totalement dans le jeu trouble des relations entre les milieux politiques et les pétroliers américains. Habilement, l'auteur fait intervenir le deuxième pouvoir sous la forme d'une enquête menée par le ministère de la Justice contre Connex. Le film est admirablement servi par l'aura de Clooney, dont l'engagement contre l'invasion de l'Irak - cette guerre qui sent si fort le pétrole - donne au film une dimension militante. D'autres acteurs de renom se sont associés au projet, dont Matt Dammon, William Hurt et Christopher Plummer. Les acteurs de premier plan n'hésitent plus à monter au créneau contre les aventures belliqueuses de l'Administration Bush. Notons toutefois, que les compagnies pétrolières américaines ne sont pas les seules à jouer en eaux troubles. Elf a bien ramené au Congo un bateau d'armes pour renverser au prix d'une guerre civile sanglante un président coupable, aux yeux de ses dirigeants, d'avoir accordé des contrats à des concurrents. Mais où est l'erreur ? Simple : les Américains font des films comme Syriana là où les cinéastes français se taisent. C'est toute la différence. Peut-on dire pour autant que nous sommes en train d'assister au renouveau du radicalisme qui prévoyait à Hollywood au temps de Gary Cooper, Spencer Tracy, Joseph Losey ou Charlie Chaplin avant qu'un certain sénateur Mac Carthy ne vienne déclarer la guerre aux progressistes du cinéma américain ? C'est encore loin d'être vrai. Toujours est-il, que fort opportunément, George Clooney a décidé de situer l'action de son deuxième long métrage comme réalisateur au cœur de La chasse aux sorcières menée avec grand chahut médiatique à la fin de la première moitié du XXe siècle par McCarthy contre Hollywood, accusée d'abriter des « communistes ». Comment ne pas dresser un parallèle entre autres cette période passée, marquée par la guerre froide et les temps actuels de nouvelles croisades guerrières inspirées par le duo Bernard Lewis-Samuel Huntington et réalisées par Bush-Cheney ? A chaque période son épouvantail. Le communisme pour Truman et l'Islamisme radical pour les locataires actuels de la Maison-Blanche. Déjà dans son premier film intitulé Confessions d'un homme dangereux, Clooney racontait l'histoire de Chuck Barris, animateur de télévision très populaire et néanmoins tueur pour le compte de la CIA. Dans Good Night and Good Luck, il approfondit sa vision de l'histoire à travers l'œilleton de la télévision américaine. Le regard des médias lui permet de remettre en perspective une chronique particulièrement significative de la paranoïa qui régnait dans les milieux de la droite américaine au cours de la décennie qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Edward R. Murrow est un homme de télévision qui décide de dénoncer dans son show les méthodes anticonstitutionnelles et très peu démocratiques du sénateur McCarthy lors de ses « investigations sur les activités antiaméricaines ». Incarné par l'excellent David Strathairn, le journaliste se bat contre un homme qui veut l'empêcher de témoigner. Clooney adopte, délibérément à mon avis, plusieurs partis pris pour raconter à sa manière l'épisode peu glorieux du McCarthysme. La sobriété du récit d'abord. Le noir et blanc ensuite, qui, mêlé à des images d'archives, apporte au film un réalisme proche du documentaire fiction. De plus, le réalisateur confine son récit (et le spectateur) dans les studios de CBS permettant ainsi au public de sentir tout le stress et l'incertitude de la situation. Clooney a choisi de présenter une pléiade de personnages témoins, mais sans vraiment en approfondir la personnalité. Le film s'achève sur la chute de McCarthy censuré par le Sénat américain le 2 décembre 1954, mais aussi sur celle de son accusateur, dont l'émission est stoppée avant cette date par la chaîne CBS. Le réalisateur semble avoir voulu mettre face-à-face les deux protagonistes comme pour montrer l'absurdité de l'extrémisme droitier, mais sans enflammer le public. Il est intéressant à ce propos de noter le témoignage du grand romancier américain John Steinbeck, qui, en rentrant chez lui, trouve son fils allongé sur le tapis, face à la télévision qui diffusait les interrogatoires d'un acteur par McCarthy. Il lui demande ce qu'il regarde et l'enfant répond : « Il y a là un méchant monsieur qui maltraite un autre gentil. » Et Steinbeck de conclure : « J'ai alors compris que McCarthy était fichu, puisque mon fils avait distribué le rôle du méchant. » Cette anecdote prouve en tout cas la justesse de l'angle de vision de Clooney. Elle confirme aussi le fait que les médias lourds souvent se contentent simplement de confirmer les choix émotifs opérés par les publics.