La corruption en Mauritanie est un véritable sport national, c'est une activité à laquelle tout le monde, ou presque, s'adonne. Depuis quelque temps, tout Nouakchott, capitale mauritanienne, s'est mis à parler de ce fléau en présence des représentants des Nations unies, venus prendre le pouls de la situation, dans ce pays où la bonne gouvernance est un vain mot. Les plus optimistes disent, pour un sujet aussi tabou, en discuter aujourd'hui c'est déjà un pas en avant. Parce que ce fléau, qui ronge tous les secteurs de la vie publique, n'est pas aussi mal vu dans la société. «C'est presque socioculturel», commente un Mauritanien rencontré à Nouakchott. Les conséquences sont désastreuses et vérifiables sur le terrain. Dans une contrée aussi riche, ayant accédé à l'indépendance en 1960, la capitale donne l'image d'un pays qui végète dans le sous-développement. Les trottoirs de Nouakchott sont poussiéreux. «Vous savez, quand les responsables sont nommés, ils pensent d'abord à se remplir les poches.» Au pays des mille poètes, on n'hésite pas à demander des commissions. «Ici, c'est monnaie courante.» Un fonctionnaire d'Etat, résumant la corruption en Mauritanie, raconte l'histoire d'un investisseur qui a renoncé à son projet aussitôt qu'il a voulu le lancer : «Le ministre lui a demandé 35%, le secrétaire général 20% et le comptable 10%.» A Nouakchott, les propriétaires de snacks, de restaurants, notamment les étrangers, sont pris en tenailles par une pratique quotidienne du racket. «Les policiers et les fonctionnaires de l'Etat pointent tous les jours pour nous voler, nous extorquer le résultat de notre travail», tempête un patron d'un restaurant situé non loin du quartier chic de la ville de Tavreghzina. «Ils demandent qu'on leur donne de l'argent pour faire le plein de gasoil. On paie tous les jours des recharges de crédit pour le téléphone.» C'est de «la corruption-extorsion». «Jusqu'à 2500 ouguiya, c'est le tarif fixé par les petits fonctionnaires. Pour les plus hauts responsables, la facture est plus salée et se chiffre à des dizaines de milliers d'ouguiyas.» Selon Hamada, citoyen de Nouakchott, «tout est monnayé ici, même l'accès aux soins». Le phénomène de la corruption mine la société mauritanienne et bloque son développement. En chiffres, l'ampleur de la corruption est estimée à 60 milliards d'ouguiyas. Plusieurs investisseurs étrangers ont fermé boutique à cause, entre autres, de la corruption pratiquée sous toutes ses formes. Des entreprises algériennes ont déclaré faillite à cause, en partie, de ces pratiques. C'est le cas, selon une source à Nouakchott, de Somagaz, une société mixte algéro-mauritanienne qui a longtemps activé dans la distribution de carburant. Elle a été victime d'une véritable machination à la mauritanienne. Elle a été tout simplement liquidée. Sa mise à mort est rocambolesque. Un cadre algérien, établi dans la capitale mauritanienne, raconte : «Les fonctionnaires de l'Etat venaient se servir à la pompe en promettant de payer plus tard. Les créances auprès des autorités mauritaniennes ont été telles que, pour survivre, l'entreprise a été contrainte de solliciter les services d'une banque dont un des deux actionnaires principaux est le milliardaire Mohamed Ould Bouamatou, qui n'est autre que le cousin de l'actuel président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz.» La banqueroute des Algériens à Nouakchott Ce n'est un secret pour personne que les deux s'épaulent et se soutiennent dans toute épreuve. Ce milliardaire mauritanien a été l'un des importants soutiens du président Abdelaziz lors de son coup d'Etat de 2009. Avec le temps, indique notre source, le paiement des taux d'intérêts a complètement asséché ce démembrement de Naftec en Mauritanie et les dettes ont fini par prendre le-dessus sur les créances. Résultat des courses : la banqueroute. Une banqueroute, bien entendu, programmée au nez et à la barbe des autorités algériennes. Les malheurs ne cesseront pas pour autant. Tout a été déployé pour que l'Etat algérien la brade en bonne et due forme. Selon notre source à Nouakchott, la vente aux enchères s'est avérée une énième mésaventure et un cas d'école en matière d'arnaque. Une véritable machination a été mise en place : quand le prix est adjugé, le soumissionnaire se désiste pour laisser place au moins-disant et ainsi de suite. L'affaire a même été portée devant la justice. Auparavant, Almap, une société algéro-mauritanienne opérant dans le secteur de la pêche, est passée à la trappe et elle a été dissoute dans les années 1990. Tout le monde s'étonne alors à Nouakchott, surtout les Algériens qui y viennent, de voir le ministre de la Pêche conseiller les Algériens d'aller investir dans ce secteur en Mauritanie. Pour des raisons diverses, Sonatrach a décidé de vendre une partie de ses biens dans la capitale mauritanienne. La gabegie, l'escroquerie et les détournements gangrènent l'économie mauritanienne. Même le FMI en a payé les frais. «El fedha», l'argent déroute les Mauritaniens. D'un don d'une coquette somme de huit millions de dollars, il n'en est resté que deux. L'affaire a défrayé la chronique à Nouakchott l'année passée. Lorsque les responsables du Fonds monétaire international ont découvert le pot aux roses, la presse locale a fait écho d'une histoire cousue de fil blanc. Comme par hasard, un jeune recruté dans le cadre du pré-emploi a, par inadvertance, détruit les données de la banque. La Mauritanie vit au rythme des détournements. Une autre affaire qui a fait les choux gras de la presse mauritanienne ces derniers temps est l'affaire d'escroquerie dont ont été victimes deux investisseurs indiens. Selon des informations recueillies à Nouakchott, un jeune Algérien, tenté par une aventure économique dans ce pays vierge, a difficilement échappé à la loi de la corruption pour lancer une petite entreprise dans les énergies renouvelables. Son dossier administratif a été bloqué pendant plusieurs semaines. Selon nos sources, un conseiller à la présidence lui a carrément proposé son aide moyennant une part de 40% dans la société. Un Nouakchottois raconte : «Ici, les responsables quand ils sont nommés commencent d'abord par se servir, en confondant en fait leur poche et les caisses de l'Etat.» Mais le gros de la corruption en Mauritanie est localisé dans le secteur des grands marchés publics où il y a énormément d'argent. Et l'ampleur des pots- de-vin se mesure au volume des contrats signés. Des contrats de gré à gré bien évidemment. Si corrompre et se faire corrompre ne provoque pas l'ire des Mauritaniens, la législation, très permissive et tolérante, incite et encourage une pratique qui a pris ancrage dans une société bridée par le tribalisme et peu encline à la modernité. Les lois incitent à l'enrichissement illégal et à l'extravagance. Dans les rues de Nouakchott, le décalage est très visible entre une caste qui roule en carrosse et une majorité qui traîne dans les rues poussiéreuses sans trottoirs de la ville, où les 4x4 dernier cri côtoient des chariots tirés par des ânes. Un conseiller à la Cour des comptes à Nouakchott résume la situation en quelques phrases : «Le code des marchés ne sanctionne pas les fonctionnaires. Il vise notamment les soumissionnaires qui ont recours à la corruption pour obtenir des marchés.» Le code pénal est également si laxiste qu'il autorise toutes sortes de manigances. Dans une affaire de détournement, quand le contrevenant restitue les deux tiers de la somme détournée, il n'est condamné qu'à un sursis. A Nouakchott, tout le monde le sait, les affaires de corruption sont instrumentalisées par le pouvoir en place. Un haut cadre de l'Etat affirme : «Beaucoup de gens ont été arrêtés ou suspectés de corruption, mais il y a eu peu de procès. Il faut une requalification des infractions relatives à la corruption.» Il faut dire aussi que la corruption en Mauritanie est loin d'être mal vue. Des membres d'une tribu sont sortis dans la rue pour manifester et demander la libération des cadres d'une banque accusés de détournement. La Mauritanie fonctionne ainsi. Elle caracole aux dernières places dans les classements établis par les institutions et organismes internationaux sur le climat des affaires et le niveau de la corruption. Les seuls investissements qui restent encore attractifs concernent l'exploration et de l'exploitation pétrolière, de l'extraction minière dont le fer et l'or, des télécommunications avec l'acquisition de licences pour les lignes de téléphone portable et de la construction. Mais, dans un tel climat, ce sont les Chinois qui pointent avec un intérêt croissant pour des investissements dans l'exploitation, entre autres, des gisements de fer et la construction portuaire. La Radio internationale chinoise a déjà commencé à émettre dans les deux langues les plus usitées dans le pays des mille poètes, à savoir l'arabe et le français. Parmi les partenaires traditionnels, ce sont les Français qui occupent la première place. Les classements de la Mauritanie La Mauritanie est classée 143e sur 178 pays, selon l'indice 2010 de perception de la corruption de Transparency international. 159e sur 187 pays, selon l'indice de développement humain 2011 du Programme des Nations unies pour le développement, avec un taux de haut niveau de pauvreté de 40% de la population mauritanienne. Le classement «doing business» 2012 de la Banque mondiale a classé la Mauritanie 159e sur 183 pays pour la facilité de faire des affaires.