Le président de la République, « fédérateur » des trois partis composant l'Alliance présidentielle (FLN, MSP et RND), a fini par trancher dans le vif la question des salaires, pommes de discorde entre les trois acteurs politiques. « Il faut bien se convaincre qu'une augmentation générale des revenus du travail, sans contrepartie d'une amélioration du niveau réel de productivité, menacerait la stabilité macroéconomique rétablie au prix de longues années d'efforts et de souffrance », a, en effet, déclaré le chef de l'Etat dans un discours prononcé, jeudi dernier, devant les cadres syndicaux. La revendication salariale, faut-il le rappeler, a alimenté la polémique et envenimé les rapports entre Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement (RND), qui a estimé que cette revendication est « illégitime », et Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat (FLN), qui a soutenu le contraire. Comme il fallait s'y attendre, l'arbitrage présidentiel s'est finalement opéré aux dépens du second qui a dû essuyer sa première défaite politique face au chef de l'Exécutif qui sort, ainsi, victorieux d'un duel dont les répercussions ne manqueront pas de peser lourdement sur les futurs rapports de force au sommet de l'Etat. Le choix de Bouteflika d'épauler et d'appuyer la vision de son chef du gouvernement n'est pas, somme toute, dénué de raison. Entre la gestion rigoriste de Ouyahia et le populisme effréné de Belkhadem, le premier magistrat du pays devait logiquement voler au secours du premier. Le patron du RND, qui a su et pu prendre du galon, saura, comme toujours, en tirer les dividendes. Son ascendant sur ses pairs du FLN et du MSP n'étant plus une simple vue de l'esprit, et aura toute latitude de se projeter pour un destin national. Cela est d'autant plus vrai que l'issue de cette bataille politique, avec le soutien inespéré du Président, devrait renforcer ses convictions aussi bien dans ses choix stratégiques que dans ses ambitions personnelles. « Je te soutiens », a asséné Bouteflika en s'adressant à Ouyahia. Le ton ferme du Président a dû faire jaser le tandem Belkhadem-Soltani. Mieux encore, le locataire du palais d'El Mouradia est allé jusqu'à justifier, avec force arguments, « les décisions impopulaires » (ponction sur les salaires notamment) prises par Ahmed Ouyahia au temps de la disette. « Il a fait ce qu'il fallait faire et n'importe qui aurait agi de la même façon », a estimé le Président. L'option de Bouteflika n'est pas, bien entendu, pour plaire à Belkhadem et Soltani qui piaffent d'impatience et qui nourrissent les mêmes ambitions que leur partenaire de l'alliance. Cependant, Ouyahia a assurément pris plusieurs longueurs d'avance sur ses adversaires politiques. Pour cause, Bouteflika a lancé cette phrase lourde de sens : « L'heure n'est donc plus aux anathèmes des uns contre les autres, ni aux attitudes populistes et démagogiques. Elle est au pluralisme fécond pour le pays, à la compétition autour de démarches concrètes à même de faire progresser plus vite et mieux l'Algérie. » Il est clair que la philippique du chef de l'Etat est adressée à Belkhadem spécialement et Bouguerra Soltani accessoirement dont les surenchères démagogiques l'emportent sur les visions économiques saines et rigoureuses. « Gardons-nous, en cette période d'aisance financière toute relative, de céder, une nouvelle fois, aux sirènes de la démagogie, du laxisme et de l'affairisme débridé, alors que la conjoncture actuelle du marché des hydrocarbures risque de se renverser à tout moment », a-t-il averti. Pour le président de la République, « cette chance exceptionnelle, pour notre pays, d'avoir entre les mains les possibilités de régler les problèmes fondamentaux ne saurait être gaspillée au profit d'une politique de facilité ». Le positionnement de Bouteflika est sans doute un coup de poignard dans le dos de Belkhadem surtout, qui n'a jamais caché son souhait de se débarrasser de « l'encombrant » Ouyahia pour se mettre politiquement en orbite.