Moscou a-t-il pris ses distances vis-à-vis de Damas ? Ce n'est, certes, pas tout à fait le divorce, mais le ton a sensiblement changé. L'horrible massacre commis vendredi à Houla, qui a fait près de 110 morts, semble avoir attendri un peu l'ours blanc jusque-là insensible aux râles des centaines de Syriens. La Russie version Poutine a ainsi souligné, hier, qu'elle ne soutenait pas le pouvoir de Bachar Al Assad, mais a accusé certains pays étrangers de faire le jeu de la spirale de la violence en visant avant tout un changement de régime à Damas. C'est en substance ce qu'a déclaré hier le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, à l'issue d'entretiens avec son homologue britannique, William Hague. M. Lavrov a dû lâcher cette petite phrase face à la pression de la communauté internationale qui accuse son pays de soutenir le régime de Damas. «Nous avons là une situation où manifestement les deux parties (en conflit) ont participé au massacre», a déclaré M. Lavrov, arguant de la présence de blessures à bout portant en plus des tirs d'artillerie attribués à l'armée régulière syrienne. «Nous exigeons qu'une enquête soit menée sur ce qui s'est produit à Houla», a-t-il poursuivi. Bien qu'il mette le bourreau et la victime sur un pied d'égalité, le ministre russe des Affaires étrangères a tout de même consenti une petite pique à son «ami» Bachar Al Assad qui devrait se sentir un peu moins soutenu. La Russie a été très critiquée ces derniers mois pour avoir fait obstruction au Conseil de sécurité de l'ONU à des résolutions occidentales blâmant le régime de Damas.Moscou a aussi continué de livrer des armes à son allié de longue date en dépit des craintes qu'elles soient utilisées dans la répression contre la population civile. «Pour nous, le plus important n'est pas de nous préoccuper de qui est au pouvoir en Syrie, le plus important est de mettre fin à la violence», a affirmé M. Lavrov. «Nous ne soutenons pas le gouvernement syrien. Nous soutenons le plan de Kofi Annan», le médiateur international de l'ONU en Syrie, a-t-il ajouté. «Il faut que les acteurs extérieurs jouent le même jeu, un jeu visant à la mise en œuvre du plan Annan, pas au changement de régime», a-t-il poursuivi, affirmant que Moscou exerçait des pressions tant sur le gouvernement syrien que sur l'opposition. Un pas en avant… «Nous avons l'impression que certains joueurs extérieurs ne disent pas aux opposants la même chose que nous», a-t-il noté. «Nous savons que l'opposition armée, du moins sa partie la plus radicale, reçoit en permanence des signaux pour ne pas cesser les combats», a-t-il encore déclaré, sans préciser d'où provenaient ces signaux. Le ministre britannique a, de son côté, souligné l'importance du rôle de la Russie et l'a encouragée à faire davantage de pression sur le régime syrien. «Il est urgent de déployer tous les efforts pour entamer le processus politique et encourager (...) le régime d'Assad à mettre en place le plan qu'il n'a pas encore mis en place», a affirmé M. Hague. La conséquence d'un échec, a-t-il averti, serait «la descente dans une guerre civile généralisée et l'explosion, et non la reprise du contrôle du pays par le régime». Il est évident que Moscou va continuer à servir de soupape de sécurité au régime criminel de Damas. N'ayant pas d'autre zone d'influence ailleurs, notamment dans cette région, les Russes ne vont pas lâcher leur «pied-à-terre» aussi facilement. Mais peut-elle continuer indéfiniment à maintenir sous perfusion un régime sanguinaire condamné par le monde entier ? Rien n'est moins sûr. Mais la condamnation par le Conseil de sécurité de l'ONU, dont la Russie est membre permanent, du massacre est peut-être un signe que Moscou va regarder la réalité en face.Pour autant, la machine de guerre de Bachar Al Assad poursuit ses raids et ses bombardements au nez et à la barbe de la communauté internationale. Une nouvelle offensive des forces gouvernementales syriennes a fait une quarantaine de morts, parmi lesquels sept enfants, dimanche à Hama (centre), selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). L'envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, s'est dit hier «horrifié» par le massacre de Houla à son arrivée à Damas, où il sera reçu par le jeune dictateur. Kofi Annan, dont le plan de paix éponyme prévoyait une trêve depuis le 12 avril, devrait sans doute constater l'impossibilité de faire aboutir un processus de sortie de crise avec un régime déterminé à poursuivre sa politique de la terre brûlée. Que faut-il faire alors ? Pratiquement aucune lueur d'espoir à l'horizon brumeux de Damas.