Mais quelle «fureur de dire» taraude Hmida Layachi, lui qui n'est pas en manque de canaux d'expression ? Il écrit sur plusieurs supports (livres, journaux), il est présent sur les plateaux de télévision et par-dessus tout il est patron de presse ! C'est au théâtre que je dois ce que je suis. D'autre part, ce père de tous les arts est celui qui me permet de m'exprimer dans la totalité de mes possibilités, de me mettre vraiment en danger et de communier plus densément et en direct avec un public», répond-il. Cela ne lui suffisait plus depuis une décennie, à intervalle de tous les deux ans, de voir une de ses nouvelles créations théâtrales montées par d'autres. Dans son entourage, on le voyait venir, tant il avait du mal à résister à l'attrait de la scène. Ainsi, il y a quelque temps, reçu à Hammam Bou Hadjar par des amateurs dans une ancienne cave viticole qu'ils avaient retapée de bric et de broc pour en faire une insolite antre du théâtre, il s'était pris d'une folle envie d'aller s'allonger sur la scène, de la sentir et de faire corps avec elle. Il s'est trouvé si bien qu'il a fait dessus une longue sieste. Hmida, un original ? Peut-être, mais plus certainement un saltimbanque dans l'âme, au sens noble du terme. Cette semaine, il était à l'affiche au TR Oran. Parmi le public, ses invités appréhendaient de le revoir sur les planches trente années après ses dernières incursions. Il donnait la troisième représentation de Qarine, un monodrame produit par l'Espace Plasti d'Algérie News. Le début du premier tableau faisait craindre au spectateur de subir les platitudes d'un théâtre-chahut, un théâtre-constat. Il n'en fut rien, car Hmida tournait le dos au journaliste, à l'essayiste et au polémiste qu'il est. Car, bien que Qarine s'inscrit dans la mise à nu d'un féroce système oppressif, il n'emprunte pas le registre de la dénonciation terre à terre. Il traque plutôt le ressenti au fil d'un demi-siècle d' une indépendance nationale confisquée. C'est l'humain qui est au cœur du propos. On est dans la même veine que Noun, Habil oua Habil, deux de ses précédentes pièces. Cependant, dans la trame de Qarine, Hmida n'a mis ni intrigue, ni une histoire, ni des histoires mais des situations, des tranches de souffrance endurées par ses autres lui-même, des sans grades, des anonymes parmi la multitude d'anonymes. Ce sont ses doubles, Qarine signifiant doublon en arabe. Ce titre, c'est aussi un clin d'œil à Arthaud, à son comédien et son double dont il se réclame dans l'inspiration. En contrepoint parfois ou en soutien d'un verbe forgé pour traduire l'indicible, la musique de Larbi Bestami est là pour le hisser à son plus haut degré. Larbi excelle dans la musique et le chant sacré, la transe et la mystique. C'est encore un autre clin d'œil à Arthaud et sa théorie d'un théâtre de la cruauté. Larbi est assis sur scène, côté jardin, dans une robe blanche immaculée. Sa voix de stentor relaie celle de Hmida lorsque cette dernière se tait sur un râle. On est dans l'informulé, à cet instant où la parole se noue dans l'impuissance. L'émotion est à son comble. H'mida en habit noir, séroual et a'baya, développe un jeu physique. Mais tout en jouant extérieurement, il n'en traduit pas moins une insondable intériorité. L'on redécouvre alors avec plaisir un Hmida toujours excellent comédien. On le voit d'ailleurs plus lui à l'œuvre que sa mise en scène. Et l'on se dit combien Qarine aurait été percutant si Hmida s'était fait doubler, c'est aussi le cas de le dire, par un superviseur pouvant canaliser et structurer sa générosité sur scène. Quelques longueurs, quelques redites auraient pû être gommées. Qarine est cependant à voir. Ce n'est pas seulement un spectacle noir. Il y a aussi de l'humour. Mais noir, évidemment.