Nabil Djemaâ est expert judiciaire en opérations financières et bancaires agréé par le ministère de la Justice. Possédant une expérience bancaire de 25 ans, notamment dans le domaine du commerce extérieur, il a participé à la création de deux banques étrangères en Algérie (Housing Bank et groupe Crédit agricole). Il vient de recevoir une invitation de l'ordre des experts judiciaires internationaux pour en être membre dans le but de proposer des missions d'expertise au profit de l'ONU. Il nous livre, dans cet entretien, son avis sur le système bancaire algérien et sur le projet de notation lancé par la Banque d'Algérie. -Que pensez-vous du paysage bancaire en Algérie ? Après l'indépendance du pays et vu le choix politique de l'époque, l'Algérie avait opté pour la spécialisation de ses banques. Ainsi, la Banque extérieure d'Algérie (BEA) avait comme principaux clients les grandes entreprises nationales comme la Sonatrach. Il y avait aussi la création d'une banque spéciale pour l'agriculture et le monde rural qui est la BADR. Depuis la création de cette banque, la BNA s'était délaissée de l'agriculture et avait opté pour le financement des PME-PMI. La Cnep était dédiée exclusivement à l'immobilier. Toutefois, et en dépit des réformes entreprises à la fin des années 1980 par le président de l'époque, Chadli Bendjedid en l'occurrence, relatives à la libéralisation du secteur bancaire et la levée de la spécialisation, les banques publiques continuent d'appliquer les orientations de l'ancien système socialiste alors que cela va à contresens avec les textes actuels. Ainsi, et rien que pour l'exemple, la BADR continue de monopoliser le secteur agricole et aucune autre banque n'a le droit de toucher à ce créneau. La BEA reçoit toujours la grande part de l'argent de la première entreprise africaine dans les hydrocarbures, ce qui la classe souvent parmi les premiers à l'échelle maghrébine et africaine. C'est quand même injuste, car ce classement ne signifie pas la compétitivité de cette banque sur le marché mais parce qu'elle a, tout simplement, le privilège de recevoir des sommes colossales d'argent provenant de la Sonatrach. Les banques en Algérie ne sont donc pas sur le même pied d'égalité où la concurrence loyale est censée être le mot d'ordre. Autre paradoxe, l'Algérie compte deux banques islamiques, El Baraka et Salem Bank, lesquelles fonctionnent avec des agréments universels et non pas spécifiques comme l'exige la vocation de ces deux banques ! En outre, les banques publiques continuent d'assurer les changes en devises uniquement les matinées, sous prétexte qu'il y a une loi qui le dicte. C'est carrément faux. -Que doit faire alors le client face à ces nombreux paradoxes ? Tout simplement, il faut s'adresser à l'inspection de la Banque d'Algérie (ex-Banque centrale) pour faire valoir ses droits. Si quelqu'un veut bénéficier d'un crédit pour se lancer dans l'agriculture à titre d'exemple et qu'il est renvoyé obligatoirement à la Badr, il peut dénoncer cela à l'une des inspections de la banque d'Algérie. L'on peut imaginer les causes du monopole exercé par la Badr sur le développement du secteur agricole… Toutes les banques sont censées offrir leurs différents services durant les heures de travail comme elles sont appelées, d'après les lois en vigueur, à financer toute activité légale et jugée rentable. Il faut avoir donc la culture citoyenne pour dénoncer toute anomalie émanant des banques se voulant être au-dessus des lois. -Selon vous, y a-t-il une différence entre les banques privées et les banques publiques ? Comparer une banque publique avec une banque privée c'est comme si on compare le jour avec la nuit. La différence est vraiment de taille. La gestion est archaïque dans les banques publiques. La qualité managériale laisse souvent à désirer. Les managers de ces établissements ne prennent presque jamais de risque, alors que même le Président de la République les a publiquement critiqués en les accusant de ne pas suivre son programme de développement. D'un autre côté, les banques étrangères offrent un service plus rapide et investissent surtout dans les nouvelles technologies, en ayant recours à l'utilisation de logiciels et progiciels modernes, rapides et très efficaces. Cela n'est pas sans conséquences positives sur la qualité du service et sur l'ambiance managériale. Toutefois, la Banque d'Algérie exige certaines conditions de travail assez archaïque à toutes les banques. Du coup, les banques privées et publiques se retrouvent, dans certaines situations, logées à la même enseigne à cause des méthodes bureaucratiques imposées par l'ex-Banque centrale d'Algérie comme cela concerne le contrôle des changes nécessitant énormément de paperasse. Il est vraiment aberrant que l'Algérie se lance dans le biométrique alors que ses institutions, notamment les banques, continuent de sombrer dans la bureaucratie et d'être noyées dans la paperasse. La Jordanie, un pays pourtant pauvre, possède un système bancaire plus souple et plus moderne par rapport au notre. Je pense aussi qu'il faut libérer les initiatives à travers l'application réelle et effective de la dépénalisation de l'acte de gestion au sein des banques afin d'éviter ce climat de peur et de psychose qui touche les banquiers. Ce phénomène ne cesse malheureusement de faire perdre à l'économie nationale un énorme potentiel de financement. Il y a en Algérie, faut-il le dire, 1154 milliards de DA en surliquidités. C'est vraiment énorme. -Pensez-vous que le système de notation des banques pourra améliorer les prestations bancaires ? La décision d'opter pour un système de notation des banques, à partir de 2013, est une bonne chose. C'est un nouveau baromètre qui indique régulièrement la situation financière des différentes banques activant en Algérie, comme cela se fait ailleurs. Le risque crédit, l'origine de l'argent, une quelconque vulnérabilité des banques et établissements financiers, les éléments extra financiers (organisation de la banque…) peuvent alors être contrôlés, et ce, afin de mieux renforcer la solidité et la stabilité du système bancaire algérien et mieux protéger donc les déposants. La notation pousse alors les banques à être plus concurrentielles sur le marché à travers l'instauration d'une ambiance de concurrence et de challenge. Ce système de notation fait suite aux accords de Bâle II (Suisse), dont le but est d'instaurer un dispositif prudentiel dans le monde pour mieux appréhender les risques bancaires. A ma connaissance, l'Algérie s'est lancée dans le système de notation, en guise de test, il y a trois ans. Cela concerne une banque privée et une autre publique avant que cela ne soit généralisé à toute les banques en 2013. On aurait toutefois aimé que ce système soit concrétisé il y a une vingtaine d'années lors de l'ouverture de l'économie nationale, afin d'instaurer dès ce temps-là l'esprit de rigueur et de concurrence auprès de nos banquiers. Et, comme on dit, mieux vaut tard que jamais ! Nous souhaitons, également, que la Banque d'Algérie s'implique aussi dans la notation des entreprises comme le fait, par exemple, la Banque de France. Cette notation permet de mesurer la capacité de l'entreprise à honorer ses engagements financiers, une information très utile pour une banque.