A la fin du spectacle du Libanais Abdelhalim Carcalla mercredi soir au Casif de Sidi Fredj, à l'ouest d'Alger, c'était à se demander si on fêtait l'Algérie ou le président Abdelaziz Bouteflika. Ce qui se voulait une fresque historique d'une heure et demie, avec quelque 800 comédiens et grands renforts de scénographie en mode Corée du Nord, a vite tourné à l'éloge du «guide», du «grand sage», de «l'homme éclairé», du «chéri (aziz) de l'Algérie», Abdelaziz Bouteflika. Les tableaux ethno-folkloriques se succèdent sous un superbe défilé d'images d'archives sur trois écrans géants. Colonisation, crimes de la France coloniale mais vite : la saga de la révolution agraire, la santé gratuite, puis le gouffre des années 1990 que Caracalla a choisi d'esquisser en une sombre métaphore. Des spectres shakespeariens, voilés de noir et masques blancs de Venise menant une danse se voulant macabre pour symboliser la «fitna», la «discorde». Un point c'est tout. Puis éclate la lumière avec en fond sonore les discours du «rassembleur», du «réconciliateur» qui, par son «immense sagesse et savoir», a carrément sauvé le pays. Défilent alors les images d'archives de la jeunesse dorée du Bouteflika des années 1960 et 1970, ses postures haranguant les foules, une fois président, comme au temps des envolées lyriques des épopées nostalgique du tiers-monde. Final enfin, en chorale blanc vert rouge, en ode au pays, salve d'applaudissements, Bouteflika qui s'avance prestement, le pas léger vers la scène pour se voir remettre par Caracalla une cape brodée au Liban. «On dirait un roi d'un autre âge», se désole un collègue photographe, alors que déjà la scène se vide pour que les convives assistent au bord de la falaise derrière le théâtre en plein air aux superbes feux d'artifice tirés de navires en mer, après la levée du drapeau et Qassaman joué par la Garde républicaine. Départ du président après vingt minutes de ballet pyrotechnique maritime, cohue aux abords du Casif, ministres abandonnés par leurs chauffeurs et gardes du corps qui errent entre les badauds et les familles venus en nombre : «Dès que le président est parti, on comprend la place qu'on réserve à l'exécutif, tout juste bon à être lâché au milieu de la foule, désemparé», remarque-t-on. Fin de la fête. Bonne fête Monsieur le président. Les absents et les présents L'Algérie officielle a fêté seule son indépendance. Aucun chef d'Etat maghrébin, arabe, africain ou autre n'a assisté à l'ouverture par Bouteflika des festivités du cinquantenaire de l'indépendance. Le pays est-il à ce point isolé ? Comment expliquer une telle absence pour commémorer l'un des évènements planétaires le plus marquant du XXe siècle ? Au plan interne, il est curieux de constater l'absence, mercredi soir au Casif, des représentants de l'ANP : ni le chef d'état-major, Ahmed-Gaïd Salah ni le ministre délégué à la Défense, l'ex-général Abdelmalek Guenaïzia n'ont fait le déplacement à Sidi Fredj. Autres absents de marque : le «représentant personnel» du président et patron contesté du FLN, Abdelaziz Belkhadem, ainsi que le frère du président, Saïd Bouteflika. Belkhadem a-t-il été boudé pour avoir décidé de lancer son propre programme de gouvernement, hérésie de l'ère Bouteflika puisqu'un Exécutif n'applique que le programme du président ? Quant à l'absence du frère cadet, il n'est même pas la peine de se perdre en conjecture, tant l'opacité s'est installée dans les grandes affaires de l'Etat. Heureusement qu'il y avait une petite touche people à la soirée guindée : la surprise de l'apparition du Premier ministre Ahmed Ouyahia en compagnie de sa très élégante épouse en tailleur blanc. Un choix plus judicieux que les couleurs de la toilette de la présentatrice du show : un maladroit bleu-blanc-rouge.