Oui, je suis Syrien. Je suis arrivé en Algérie il y a 15 jours, j'ai laissé ma famille au Liban, parce que je n'avais pas assez d'argent pour payer les billets.» La trentaine entamée, l'homme au teint basané est assis sur un rebord du jardin du square Port-Saïd, au centre-ville. Ici, la chaleur plombe l'atmosphère et ralentit les gestes des passants, des quelques sans-abri qui y squattent et des dizaines de familles syriennes qui occupent avec leurs bagages les coins ombragés. Le jeune homme regarde les voitures qui vont et viennent, les vendeurs de devises qui brandissent leurs billets, l'air pensif. «Nous avons besoin d'aide, nous sommes en détresse, mais nous ne voulons la pitié de personne», tranche-t-il avant de se lever et de se dérober précipitamment. Ils ont tout laissé derrière eux, mais veulent garder leur pleine dignité. Ils sont nombreux, des hommes, des jeunes, des familles, beaucoup d'enfants. Ils ont fui Damas, Homs, Alep, Idleb et d'autres villes syriennes où les affrontements meurtriers deviennent insoutenables. Ils se sont réfugiés en Algérie pour fuir l'insécurité et la terreur, ils font à présent face à d'autres peurs, celles de la déception et du mépris. «Nous ne sommes pas des mendiants, nous ne voulons pas être regardés de travers», assène un autre jeune homme. Sa peau brune et ses cheveux noir corbeau donnent encore plus d'intensité à ses yeux verts. Le désarroi se lit dans son regard, autant que sa pudeur. «Des journaux arabophones algériens nous ont traités de mendiants, nous ne sommes pas des mendiants», répète-t-il. Ali, un Algérois habitué du jardin, s'approche de lui et rétorque: «Vous n'avez pas à avoir honte, nous sommes Algériens et nous mangeons tous les soirs dans les restaurants de la rahma (solidarité), nous ne vous jugeons pas.» Le cercle s'élargit.Des Syriens et des Algérois se mêlent à la conversation. «Nous avons aidé nos frères algériens lorsqu'ils avaient besoin d'aide. Si nous sommes ici, c'est que nous n'avons trouvé nulle part où aller.» Le malaise est lourd et impose le silence. Un sursis de 3 mois ! Ils seraient des milliers à errer de quartier en quartier, de ville en ville. Ils se réfugient dans les mosquées où ils peuvent dormir tranquillement ou dans des jardins publics pour bénéficier de la charité des citoyens. La plupart arrivent à Alger après un long périple, en provenance de Tunisie, du Liban, de Turquie ou directement de Syrie. Pourquoi l'Algérie ? «Parce que c'est un pays frère, musulman et stable», répond Kamal, la quarantaine, un bébé d'un an dans les bras. «Aussi, parce qu'on a pas besoin de visa et qu'on n'est plus les bienvenus en Turquie et en Tunisie !», avoue-t-il encore. Kamal, 45 ans, est en Algérie depuis déjà trois mois et s'inquiète parce que la durée légale de son séjour en Algérie tire à sa fin. «Nous sommes considérés comme des touristes, nous sommes donc tenus de quitter le territoire algérien au bout de trois mois», raconte-t-il. Au commissariat central, où ils se sont présentés pour tenter de régulariser leur situation, on leur aurait signifié qu'aucune exception ne sera faite pour eux. Ils devront donc quitter le pays, ne serait-ce que pour une journée et revenir pour être en situation régulière. Kamal, sa femme et ses 5 enfants passent leurs journées au jardin du square Port-Saïd. Le soir, ils vont à l'hôtel. «Je paye chaque nuit 1000 DA pour que ma famille dorme tranquillement», explique-t-il. A Idleb, sa ville d'origine, il était commerçant et gagnait très bien sa vie, mais il a dû tout abandonner pour «sauver sa famille». A l'hôtel où il réside, à quelques mètres du square, ils sont 50 familles à y occuper des chambres. Un nouveau-né syrien au square Port-Saïd Il y a deux jours, un nouveau-né syrien a élargi la communauté des «réfugiés» syriens fraîchement débarqués à Alger. Il passe ses premières journées dans une chambre de l'hôtel Terminus, à quelques mètres du jardin square Port-Saïd, où quelques gamins traînent dans les couloirs avant de rejoindre gaiement d'autres enfants dans la rue. Kayla, petite Syrienne de 7 ans, serre un livre de contes contre sa poitrine. Elle comprend à peine les raisons pour lesquelles elle est là et ne veut d'ailleurs pas en parler, tout ce qui la préoccupe en ce moment, c'est d'afficher son plus joli sourire pour la photo. «Il est né il y a deux jours, je crois qu'il s'appelle Chems Eddine», confie-t-elle avant de rejoindre ses copines, serrant toujours aussi fort le livre qui lui a été offert par un passant généreux. Si l'Etat semble indifférent à la détresse de ces centaines de familles désorientées –qui vont servir à gonfler les chiffres du nombre de touristes de l'Algérie –, une véritable générosité citoyenne s'est organisée pour leur venir en aide. «On leur ramène à manger, on leur paye des repas et on leur donne de l'argent régulièrement», confie un hadj du quartier. Et d'ajouter : «Ce sont surtout les enfants qui nous font de la peine !» Ces familles sont venues avec l'espoir de s'installer en Algérie le temps que le calme revienne dans leur pays. Où vont-elles aller, comment vont-elles survivre ? Aucune d'elles ne se donne le droit d'y penser. Ici, seul l'instinct de survie prévaut. Aucune place aux projections ou à l'espoir. Tout se passe ici maintenant. Une petite fille aux yeux verts, qui ne cesse de tourner en rond, semble amuser le regard fatigué de ces familles. Elles sont statiques. Elles attendent. Autour, on compte les billets toujours aussi vite, la chaleur devient plus oppressante. L'heure du f'tour approche. Seul compte, à présent, le repas du soir.