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L'égalité homme-femme remise en cause dans le projet de constitution : Les Tunisiennes disent non !
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Publié dans El Watan le 15 - 08 - 2012

Pour le 56e anniversaire du Code de statut personnel, promulgué le 13 août 1956 par le premier gouvernement de la Tunisie indépendante dirigé par le leader Habib Bourguiba, elles étaient des milliers à manifester pour réclamer le maintien de leurs droits promus par ce code. On parle de plus de 10 000 manifestants à Tunis, de 2500 à Sfax et de centaines dans les autres villes.
Tunisie. De notre correspondant
Il est loin le temps où les femmes tunisiennes revendiquaient le principe de parité au sein de l'Assemblée nationale constituante. Avec le projet de l'article 28 de la nouvelle Constitution, le principe d'égalité entre l'homme et la femme cède donc la place à celui de la «complémentarité». «La femme n'existerait donc pas en dehors de l'homme et ne pourrait aspirer à plus que de la complémentarité, restreignant ainsi son statut à celui d'épouse et de mère. Ses droits se trouvent ainsi annexés à ceux de l'homme», s'est indignée l'universitaire Sana Ban Achour. Elle était à Tunis aux côtés de milliers de manifestants et manifestantes de tous âges, issus pour la plupart des banlieues huppées de la Marsa, Ennasr ou El Menzah, comme le laisse entendre leur style vestimentaire à l'européenne.
Le texte contesté, bien que non encore voté en séance plénière, a déclenché un véritable tollé au sein de nombreuses associations tunisiennes qui y ont vu un appel à la vigilance.
La simple adoption de ce texte par une commission constituerait, selon Ahlem Belhaj, présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates, «une régression dangereuse de la société tunisienne et des acquis de la femme vers un système exclusivement patriarcal». Les députés d'Ennahda se défendent, certes, de toute atteinte aux acquis de la femme et placent cette ambiguïté dans le texte de loi sous le signe d'une bataille linguistique jouant la carte de l'étonnement face à une affaire qui «a été exagérée». On aurait donc donné une «importance démesurée» à un texte de loi qui ne remet nullement en cause l'égalité homme-femme. «Il n'y a pas d'égalité absolue entre l'homme et la femme», a toutefois déclaré Farida Laâbidi, soulevant les indignations du camp démocratique.
Dans la Tunisie actuelle, baignant dans un flou juridique, idéologique et même civique, et où tout est remis en question et doit être clairement défini, «les droits de la femme doivent être spécifiés, à défaut de voir la gent féminine spoliée de ses libertés les plus élémentaires», a souligné Rawdha Gharbi, vice-présidente de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. «De telles polémiques seraient jugées inutiles dans un pays civilisé qui reconnaît les droits humains et civiques de chaque citoyen indépendamment de son sexe et n'obéissant à aucune discrimination», a ajouté la secrétaire générale du parti républicain, Maya Jribi.
Flottements
Il est à souligner que la question de l'égalité entre les sexes n'est pas l'unique objet de litige au sein de l'Assemblée nationale constituante qui est chargée de rédiger une nouvelle Constitution et engagée à la réaliser d'ici le 23 octobre prochain. Les échos provenant de l'Assemblée indiquent que des différends persistent sur des questions fondamentales, comme la nature du régime (semi-présidentiel ou parlementaire), la consistance des libertés, l'indépendance de la magistrature et bien d'autres questions.
Face à ces différends constatés autour de plusieurs problématiques fondamentales, les observateurs craignent un blocage, surtout que chaque article nécessite l'adoption par la majorité absolue, alors que l'adoption de la Constitution se fera par la majorité des deux tiers. Pour essayer de détourner les malentendus, la présidence de l'Assemblée a décidé de faire passer plusieurs propositions pour le même article, ce qui ne fait que repousser les différends vers d'autres cieux, soit de la commission constitutionnelle à celle de la rédaction, voire aux séances plénières.
«Le problème fondamental créé par cette attitude, c'est le délaissement de la recherche d'un compromis, au profit d'une course contre la montre pour respecter les dates préconisées par la présidence de l'Assemblée. Or, de quel respect des dates parle-t-on, si les tâches présumées ne sont pas accomplies ?», s'est interrogé Azed Badi, le rapporteur adjoint de la Commission de rédaction de la Constitution, issu du Congrès pour la République, le parti du président Marzouki, allié des islamistes d'Ennahda et d'Ettakattol dans la troïka au pouvoir. Suite à l'annonce faite par la présidence de l'Assemblée qui parle de «brouillon près du projet de la Constitution», Azed Badi est revenu récemment sur l'avancement des travaux des commissions et a affirmé que ce qui a été finalisé, «ce sont les travaux des commissions».
Absence de compromis
Selon ce député de la troïka, l'annonce par certains d'un brouillon prêt constitue de la surenchère politique, d'autant plus que certaines commissions n'ont pas encore achevé leurs travaux. Pis encore, le président de la commission du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif et de la relation entre eux, Amor Chettoui, avait déjà signalé «qu'au vu des positions déclarées lors des débats, il est presque impossible de trouver des compromis». «Nous nous dirigeons donc vers un référendum selon l'article trois de l'Organisation provisoire des pouvoirs publics, dont la rédaction comporte plusieurs lacunes», a-t-il souligné, attirant l'attention sur le fait que «un tel référendum constitue un très mauvais signal pour la population qui s'attendait à un compromis comme n'ont cessé de répéter les différents dirigeants politiques lorsqu'ils parlaient de la Constitution».
Le comble de cette situation, a déclaré étonné Samir Bettaïeb, constituant du bloc démocratique (opposition), «c'est de voir des constituants demander des changements au dernier moment, comme ce fut le cas dans la commission de la juridiction judiciaire, financière et constitutionnelle où l'on est revenu sur l'indépendance financière du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire à l'avant-dernière réunion, alors que la majorité des députés pensaient que le dossier est clos». Samir Bettaïeb a également attiré l'attention sur le fait que «ce sont toujours les députés d'Ennahda qui sont derrière ces changements de dernière minute, à un point tel que l'on se retrouve pratiquement devant deux projets de Constitution».
Les différends portent pratiquement sur plusieurs questions fondamentales. «De quel consensus parle-t-on ?», s'est-il interrogé. Constituants hors Ennahda, classe politique et société civile craignent que ces manœuvres du parti islamiste visent à aller vers un référendum avec un double objectif. S'ils gagnent, les islamistes aspirent obtenir à travers ce plébiscite populaire une percée islamisante que la composition actuelle de l'ANC ne peut permettre. S'ils perdent, ils auront perdu juste la bataille de la Constitution et changeront de tactique en vue des élections. Une chose est certaine, les batailles actuelles font découvrir au peuple tunisien et à son élite le vrai visage d'Ennahda.


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