Les chaînes privées vont rentrer, avec la fin du mois de Ramadhan, dans ce qu'on pourrait appeler une phase de vérité. Si elle ont concouru, avec des moyens visiblement très modestes à enrichir un tant soit peu le programme de divertissement qui était jusque-là propriété exclusive de la télé d'Etat, ces chaînes vont devoir faire preuve, à l'avenir, de plus d'audace et d'ingéniosité pour conserver d'abord et consolider ensuite l'audience relativement appréciable qu'elles ont pu conquérir. La faible notoriété des chaînes publiques n'étant plus un secret pour personne, c'est en fait naturellement vers les nouveaux sigles que se tournent les regards des téléspectateurs algériens (et même maghrébins), avec l'espoir de les voir jouer un rôle plus actif, plus déterminant dans le remodelage du paysage audiovisuel national. Car, c'est bien de cela qu'il s'agit, sinon à quoi rimerait le fait d'avoir une floraison de nouvelles télés si elles parlent toutes le même langage, celui de l'Unique. En d'autres termes, si ces chaînes n'apportent rien de nouveau par rapport à ce qu'offre la télé publique, c'est leur crédibilité qui en premier risque d'en pâtir. Ce seront aussi les immenses espérances des Algériens de voir enfin les changements en matière de communication télévisuelle devenir réalité qui partiront en fumée. A quels types de changements devrait-t-on s'attendre ? Le besoin le plus pressant est certainement celui de voir le produit télévisuel, dans toute sa complexité, devenir non plus un produit de pure propagande mais un vrai produit culturel capable d'agir efficacement sur l'émancipation de la société. La télévision contemporaine si elle a pour obligation de tenir informée l'opinion publique sur tous les sujets d'actualité qui la concerne directement, a aussi pour mission fondamentale de participer à la formation de l'esprit critique et à l'éveil des consciences indispensables à toute entreprise démocratique. Au-delà donc des efforts qui ont été consentis pour permettre aux algériens de découvrir un autre facette de loisirs spécialement conçue pour le mois de Ramadhan, avec son lot de sitcoms, de caméras cachées, de feuilletons, et au-delà par ailleurs de l'aspect strictement commercial qui les régit, c'est sur leur réelle détermination à vouloir ou non approfondir le processus démocratique en Algérie par une image plus conforme à la réalité que nous vivons au quotidien que seront jugées les chaînes privées. Et, de ce point de vue, les spécialistes diront que c'est sur la liberté de ton et d'expression que sera mesuré leur degré d'autonomie qui, en principe, doit être sans équivoque. A proprement parler d'indépendance, ces nouvelles télés n'ont pas encore déçu leur public, bien que leur volonté de concurrencer l'Unique sur les questions de censure a paru très mitigée. En effet, en donnant souvent — et c'est même devenu un créneau porteur — la possibilité aux citoyens de s'épancher en direct sur les problèmes qui empoisonnent leur vie, de dénoncer le laxisme des responsables et de critiquer ouvertement les agissements des membres du gouvernement, elles ont ouvert un espace favorable à la démocratisation de l'information que le pouvoir politique a toujours voulu orienter selon ses intérêts. Mais cela reste nettement insuffisant compte tenu de l'immense tâche qui reste à accomplir dans la recherche de l'objectivité et de la vérité.En n'apparaissant pas clairement dans la ligne éditoriale, cette objectivité et cette vérité ont encore du chemin à faire, d'autant que la plupart des nouveaux sigles satellitaires, en voulant ménager les plus hautes instantes dirigeantes alors que le pays est à l'arrêt, se sont attirés beaucoup de suspicion sur eux. Mais, même si elles ne sont pas encore totalement opérationnelles dans le domaine très sensible de l'information, les télés privées se sont déjà fait remarquer par une autre façon d'intervenir sur l'actualité qui nous sort des stéréotypes auxquels nous a habitués la télévision publique. Sur ce terrain, on peut dire qu'Echourouk TV, Ennahar TV et El Djazaïria ont marqué de précieux points d'audience qui méritent les encouragements. Avec des JT nettement plus dépouillés, mais plus tranchants et donc plus agréables à suivre, elles ont réussi à battre le service d'information de l'Unique qui comptabilise pourtant une plus grande expérience. La différence, si elle est aussi dans la présentation avec des génériques plus modernes et des équipes de journalistes plus ambitieuses, elle est surtout de fond dans la mesure où c'est sur l'essentiel que les sujets sont axés et non pas sur le superficiel. Tout porte à croire que c'est sur le terrain de l'info et du rapport qu'on a avec l'opinion publique que les grandes batailles s'annoncent à l'avenir.Dans cette optique, le choix d'Ennahar paraît d'ores et déjà judicieux. En optant pour les grands débats politiques — genre émission à cœur ouvert — avec les grandes personnalités politiques qui suscitent les polémiques, la chaîne du quotidien arabophone a investi incontestablement un espace qui fait recette. La longue interview de Nezzar étalée sur plusieurs parties (huit heures d'écoute) a été très suivie, c'est dire si les algériens, assoiffés de vérité, restent attentifs à ce type d'émissions qui font sensation. En règle générale, en un temps très réduit, une bonne audience a été accordée aux chaînes privées qui ont eu le mérite de montrer qu'on peut faire une autre télé avec la mentalité algérienne. Mais cela reste un simple quitus qui peut se retourner contre elles si ces chaînes feraient l'erreur de vivre sur leurs acquis. Un bon départ, mais l'aventure ne fait que commencer pour des télés généralistes qui doivent améliorer qualitativement et quantitativement leurs programmes pour espérer s'installer dans la durée. Le plus dur reste par conséquent à faire, et la question inévitable est : d'où réunir les sommes colossales pour faire tourner la boîte, car on ne le dira jamais assez, une télévision qui tourne à plein temps c'est beaucoup, beaucoup d'argent…