Ce n'est pas demain la veille que l'Algérie aura des chaînes de télévision privées dignes de ce nom. De vraies chaînes s'entend, pas comme celles qui ont commencé à fleurir à partir de l'étranger juste pour marquer une présence, occuper une place dans le paysage audiovisuel, en attendant de rentrer au pays avec un background expérimental qui pourrait leur donner éventuellement une assise plus solide quand il s'agirait de faire face véritablement à la compétition. Sur les cinq ou six chaînes qui ont fait leur apparition immédiatement après l'annonce officielle par le gouvernement de l'ouverture du champ audiovisuel au privé, pas une n'a réussi à ce jour à séduire, à défaut de convaincre le téléspectateur algérien. Ni par sa ligne éditoriale, si jamais elle existe, ni par son contenu politique, ni par sa démarche informative, ni par la forme générale de son programme culturel ou de divertissement qui, pour l'heure, est réduit à la portion congrue. Lancées dans la précipitation avec cette perspective d'investir demain un espace médiatique convoité à la fois pour l'influence politique qu'il offre à la périphérie du Pouvoir et pour les retombées financières découlant de la manne publicitaire qui reste malgré tout le nerf de la guerre, ces télévisions qui se targuent d'être complètement autonomes et indépendantes du secteur d'Etat par opposition à l'Unique et ses clones, sont vite tombées dans le système du bricolage une fois passé l'effet de surprise sur lequel leurs promoteurs comptaient pour s'installer dans la durée. Comment éviter en effet une désaffection prévisible du public, qui n'a d'ailleurs pas mis longtemps à se manifester, lorsqu'on a affaire à des sociétés de télévision qui proposent un sigle, une vitrine avec un certain clinquant, mais qui derrière ressemblent à des coquilles vides. En vérité, pour contourner — ou devancer — la décision officielle sur l'audiovisuel qui doit passer obligatoirement par l'adoption d'une loi avant d'être effective, pour ne pas trop subir donc les turpitudes d'une manœuvre bureaucratique qui risque de faire reculer les postulants les plus téméraires, ceux qui se sont lancés dans l'aventure ne se sont pas posé trop de questions pour donner vie à leurs projets. Pour eux, c'est la devise de : «jetons nous à la mer, après on verra…» qui semble avoir primé sur des considérations organisationnelles et structurelles bien plus importantes et bien plus compliquées à assumer. Le résultat, évidemment, n'est pas très flatteur dans la mesure où la création des ces chaînes privées que les algériens captent assez facilement a plus ajouté à l'embrouillamini ambiant qu'à enrichir un patrimoine télévisuel national qui méritait une approche bien plus sérieuse. Si l'Etat est en partie responsable d'une telle précipitation dans le mode de concrétisation de projets en veilleuse depuis longtemps déjà, en différant notamment à l'infini une échéance pourtant irréversible, en cherchant par des manœuvres dilatoires à casser les initiatives les plus audacieuses, en voulant coûte que coûte faire perdurer sous une forme plus pernicieuse le monopole et le contrôle sur les médias dits lourds, les responsables des chaînes nouvellement créées et expatriées provisoirement par la force des choses, ne sont pas eux aussi exempts de reproches pour la faiblesse du produit télévisuel livré sur le petit écran, qui manque terriblement de consistance et de crédibilité. Sans trop verser dans la critique subjective ou facile, d'aucuns pensent que la plupart de ces télés qui ne sont souvent que le prolongement de journaux nationaux auxquels elles appartiennent comme simples filières établies hors du territoire, n'ont pas fait les efforts qu'il faut pour donner au monde qui nous entoure une image plus rassurante de la future télévision privée algérienne. Et lorsqu'on parle d'efforts, on fait naturellement allusion à la part d'investissement aussi bien humain (c'est-à-dire professionnel et technique), matériel que technologique sans lequel une entreprise télévisuelle qui aspire à faire progresser la communication et le jeu démocratique dans notre société ne peut rien attendre de conséquent. En matière d'existence physique d'abord, ces chaînes n'ont pratiquement que la devanture qui est loin de faire à elle seule le label. Soit, un abonnement à une fréquence satellitaire qui ne coûte d'ailleurs pas une fortune, un studio suffisant pour contenir quelques bureaux, une ou deux caméras et le tour est joué en misant essentiellement sur la présence d'un journaliste-présentateur de préférence chevronné pour faire le travail d'info et de… propagande quand la ligne éditoriale de la chaîne affiche une opposition radicale aux thèses du gouvernement. Celle qui émet à partir de la capitale britannique en est l'exemple type. Sur place donc, à Londres, Amman ou ailleurs, la boîte à images qui veut faire rêver se limite à presque rien, et c'est finalement à partir de «correspondants» dûment accrédités à Alger qu'elle assure l'essentiel de sa production. N'ayant pas d'agrément de la part des autorités algériennes, la loi sur l'audiovisuel n'étant pas encore votée, ces chaînes fonctionnent avec un statut de droit étranger, mais cela ne les empêche pas de se considérer comme télés nationales à part entière revendiquant leur part d'audience et de marché. Ensuite, sur le plan du travail informatif, la tendance à la facilité a fait tache d'huile. Pour remplir l'espace et le temps d'antenne, on n'a pas trouvé meilleure formule que celle d'ouvrir à longueur de journée le micro aux citoyens anonymes pour les laisser s'exprimer sur tout et sur rien, l'important est que les interventions soient de virulentes critiques contre le système et son administration. Quant aux pseudo-débats organisés pour approfondir les sujets d'actualité, ils constituent surtout la marque de fabrique d'une démarcation par rapport à l'Unique qui n'apporte rien de nouveau au registre de la réflexion intelligente. En conclusion, les télés privées en activité mais sans stratégie de communication, sans programme de fond, en faisant dans le bricolage n'ont pas réussi l'illusion de nous affranchir complètement de la morosité de l'Unique. Le pari est loin d'être gagné.