Hôpitaux tournant au ralenti, ramassage des ordures paralysé, le service public n'a pas été assuré pendant le week-end de l'Aïd alors qu'il s'agit d'une obligation garantie par la Constitution. «Service public : activités dont les principes fondamentaux sont la continuité et l'égalité entre les bénéficiaires». Le service public est là pour servir l'intérêt général tous les jours, à tout moment, quoi qu'il arrive. Voilà pour la théorie. Mais au cours de ce week-end de l'Aïd, la notion de service public a perdu toute sa substance. Contrairement à ce qu'on a annoncé, les hôpitaux n'ont pas été épargnés. A Mustapha Pacha (Alger), les urgences dentaires n'étaient pas assurées. Si dans le plus grand hôpital du pays, il n'était pas possible de se faire soigner pour une rage de dent, on peut se demander quels effectifs médicaux étaient disponibles dans d'autres wilayas. Alors que les cabinets privés sont fermés, seuls les services des urgences fonctionnent. Toujours dans la capitale, le ramassage des ordures n'a pas été assuré. Dans la commune de Hammamet, les bennes débordent sur la route. Si le ramassage des ordures est un service public, c'est avant tout pour des raisons sanitaires. La dégradation des déchets facilite la propagation des maladies. A la gare routière du Caroubier (Sogral), les voyageurs ont attendu un véhicule pendant des heures sans rien voir venir. Même constat du côté de Béjaïa, où seul le vol pour la capitale était assuré. Mais le billet d'avion, dont le prix, fortement abaissé, atteignait 1800 DA, restait trois fois plus cher qu'un trajet en taxi collectif. Pas très «égalitaire» comme moyen de transport. Pourtant, certaines dispositions législatives existent. Les pharmaciens par exemple ont l'obligation légale d'assurer une permanence. Dans la pratique, cette obligation est peu respectée. Les autorités n'ont pas donné les moyens de contrôler l'application de cette disposition. Les pharmaciens de leur côté répondent qu'ils ne veulent pas travailler au mépris de leur sécurité physique. Dans certains lieux, ouvrir la nuit présente un danger. Les gardes ne sont donc pas respectées en temps habituel. L'Aïd ne fait pas exception. Dans les commerces, juridiquement privés, la question se pose de manière différente. Si personne ne peut légalement obliger les commerçants à rester ouverts pendant les deux jours fériés de l'Aïd, il est du rôle de l'Etat d'avoir des mesures incitatives pour faire en sorte que tous les commerçants ne fassent pas le «pont». Il est surprenant que les commerces d'une métropole de 3 millions d'habitants restent fermés pendant une semaine. Enfin, pas si surprenant pour certains. «Vous n'allez pas demander aux commerçants de travailler, le gouvernement lui-même ne travaille pas!», lance un citoyen. Les commerçants n'en font qu'à leur tête à Batna L'inertie qui paralyse la ville de Batna à chaque fête religieuse semble se prolonger même après l'Aïd. En effet, des commerces de plusieurs quartiers périphériques, ceux du centre-ville et des quartiers résidentiels, sont fermés depuis le premier jour de l'Aïd El Fitr. Pour certains, la fermeture a duré jusqu'au quatrième jour de l'Aïd. L'exemple des boulangeries est édifiant. Les citoyens n'ayant pas prévu cette fermeture en masse se sont rabattus, pour la plupart, sur la traditionnelle galette (kesra). Leïla, 50 ans, femme active et mère de 5 garçons, habitant Bouzourane, explique qu'elle a dû préparer plus de 8 galettes. «C'est incroyable, le fait qu'on ne trouve ni pain ni rien d'autre d'ailleurs. Les commerçants devraient se concerter entre eux pour assurer un service minimum», a-t-elle déclaré. Les boulangeries ne sont pas les seuls commerces concernés. Alimentation générale, fast-food et même les marchés de fruits et légumes étaient fermés. La veille de l'Aïd, les habitants des quartiers où se trouvent ces marchés se sont rués sur les marchandises. Aussi les prix ont augmenté en flèche, atteignant des coûts astronomiques. Mohamed, un habitant de Kechida (quartier populaire de Batna), rapporte que le kilo de laitue s'est vendu à plus de 200 DA : «Les gens se bagarraient à coups de poing pour en avoir.» Par ailleurs, les seuls services opérationnels sont ceux assurant la salubrité publique, et ce, dès le premier jour de l'Aïd. Le ramassage des poubelles a été assuré normalement dans la plupart des quartiers de la ville. Rareté, spéculation et dérèglements à Béjaïa Débordants pendant le mois de Ramadhan, des étals des commerces sont restés affreusement vides au lendemain de la fin du mois sacré. Les vendeurs de fruits et légumes, qui ont élu domicile aux bords des routes nationales traversant la wilaya, essentiellement la RN26, ont disparu dans plusieurs endroits, annonçant la couleur des jours d'après-fête. Point de marchandise à proposer. Les marchés de gros n'ont pas travaillé, perturbant fortement la chaîne de distribution. Les conséquences sont visibles au niveau des marchés hebdomadaires qui ont pu avoir lieu timidement, dans la wilaya. Les commerçants ont épuisé leurs stocks. «Ce sont les fruits de la récolte familiale, autrement je n'aurais pas pu ouvrir boutique», confie un vendeur de fruits dans la ville de Béjaïa. Le jour de l'Aïd, la ville a manqué de pain et de lait, revenus progressivement sur le marché à partir du lendemain. Mercredi, le marché hebdomadaire de Sidi Ahmed, dans la ville de Béjaïa, a manqué affreusement de marchandises. La quête de pomme de terre a été difficile pour les pères de famille et les ménagères. Dans tout le marché, un seul étal l'a proposé et à 80 DA le kilo ! Avec une qualité douteuse. «C'est du congelé», soupçonne un citoyen. «Les grossistes n'ont pas travaillé ces jours-ci», explique le jeune vendeur qui trouve là l'occasion de spéculer à un client dépité. La flambée des prix est même plus importante que l'inflation du Ramadhan. A Sidi Ahmed, la carotte a été vendue 150 DA le kilo. Un record ! Par ailleurs et si au niveau de la gare routière du chef-lieu de wilaya l'offre a été plus ou moins satisfaisante, selon des témoignages de voyageurs, la notion de service public n'a pas fonctionné, comme d'habitude, chez beaucoup de transporteurs interurbains qui ont prolongé leur absence. L'Aïd El Fitr passé, la machine commerciale trouve des difficultés à redémarrer à Béjaïa. Loin d'être exceptionnels, les jours de l'après-Aïd sont un remake inlassable d'un scénario que les seuls appels de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) ne peuvent toujours pas éviter. La loi des mitrons à Mostaganem Alors que Mostaganem compte plus de 1500 taxis, durant les fêtes de l'Aïd, ce sont les transporteurs clandestins qui ont occupé le devant de la scène. Avec à la clé des tarifs dépassant tout entendement, surtout sur les liaisons interwilayas. Le trajet sur Tiaret qui coûte habituellement 160 DA est passé à 250 DA. Avec la fermeture du marché de gros des fruits et légumes d'Ouled El Bachir, c'est toute la région de l'Oranie qui est restée sans approvisionnement. Mais incontestablement, ce sont les boulangeries qui ont totalement perturbé les ménages en s'autorisant un congé qui a duré pour la majorité des établissements plus de 6 jours. Ce n'est qu'hier matin qu'une partie des professionnels ont rejoint leur établissement. De l'avis des boulangers, cette fermeture inopinée s'explique en grande partie par la défection des mitrons, ces indispensables ouvriers qui travaillent dans l'ombre et dans une chaleur insoutenable. Un travail éprouvant assuré par des jeunes qui viennent des zones éparses ainsi que des wilayas limitrophes. Les jeunes du cru rechignant manifestement à faire ce métier éprouvant. C'est suite à ces défections que les rares boulangers ayant pu façonner une ou deux fournées se sont vu assaillir par une clientèle désorganisée et nerveuse. Ce qui a permis l'infiltration parmi elle des éternels profiteurs. N'hésitant pas à squatter les queues à l'abord des boulangeries, ils ont su mettre à profit la pénurie pour revendre la baguette sous le manteau à 25 et 30 DA. Le manque de farine en sachet d'un kilo a amplifié la pénurie. Les familles promptes à pallier la défaillance des boulangers n'en ont pas trouvé sur le marché pour faire du pain traditionnel. Car à la veille de l'Aïd, et ce, pour la première fois depuis deux décennies, la farine conditionnée en sachets d'un kilo, si pratique pour les pâtisseries, a complètement disparu des étalages. Le lait en sachet manquait aussi, cependant, la faute n'incombe pas à l'Orolait qui a maintenu son activité, mais à la défection des transporteurs livreurs privés qui ont déserté la place, obligeant la laiterie publique à livrer les commerçants avec ses propres camions. Aïd ? Plutôt un cauchemar à Constantine! Les habitants de Constantine ont eu droit à un Aïd El Fitr des plus pénibles, marqué surtout par les pénuries et les ruptures de stocks en matière de denrées alimentaires, dont celles de base comme le pain et le lait. Sans compter que la plupart des commerçants sont partis en congé ou ont carrément baissé rideau de manière anarchique. Les boulangers sont les premiers à s'absenter, confirmant ainsi que la ville du Vieux Rocher manque gravement de pain, et ce, même durant le mois de Ramadhan. Les marchés sont déserts, lugubres, avec des étals vides. Pas de fruits ni légumes. Il ne reste plus rien non plus dans les épiceries et autres supermarchés, pas d'eau minérale, pas de laitages, à croire qu'une armée de criquets dévastateurs est passée par là ! C'est le désarroi total pour les familles, notamment celles avec des enfants en bas âge. «Il m'a fallu faire bien des détours et parcourir des kilomètres pour trouver de l'eau minérale ; c'est incroyable, mais cet état de chose ne fait que s'aggraver d'année en année», commente avec amertume un père de famille rencontré dans un magasin d'alimentation générale. L'après-Aïd est donc vécu comme un véritable cauchemar dans la troisième ville du pays, où plus rien ne marche, où le réseau électrique a été scandaleusement défaillant, avec des coupures de courant de plusieurs jours, de surcroît pendant un mois de jeûne caniculaire. Les gens ont dû jeter tous leurs stocks d'aliments entreposés dans les congélateurs. Et le service public, parlons-en ! Tout est perturbé, tout a du mal à démarrer. Les fonctionnaires ont du mal à se réveiller de leur long sommeil ramadhanesque, où la plupart d'entre eux n'ont pas travaillé une heure par jour. Le transport public, notamment les taxis, a connu lui aussi une grosse perturbation, avec le diktat des chauffeurs qui avancent toujours le prétexte de la circulation induite par les chantiers. Constantine serait-elle devenue une ville maudite ? Une semaine d'arrêt à Oran Les prises de bec et les propos injurieux devant les rares boulangeries ouvertes durant l'Aïd sont devenus des scènes habituelles à chaque «fête» et cela dure depuis des années. C'est l'aspect visible d'un problème qui touche toute la vie sociale avec la fermeture des restaurants et des commerces, laissant la population en proie à l'informel. Le constat est plus amer cette année à Oran avec la grève de l'Entreprise publique de transport (ETO) qui assure habituellement un service minimum obligatoire en sa qualité de société étatique. «La situation est déplorable d'autant que nous avons actuellement un nombre important de communautés étrangères installées de manière durable, c'est-à-dire pas uniquement des touristes, et qui a besoin de survivre et de se déplacer durant ces journées», reconnaît M. Mouad, responsable local de l'Union générale des commerçants algériens (UGCAA), en gardant à l'esprit que c'est également toute l'image du pays qui est écornée. Des actions ont pourtant été menées. «La veille de l'Aïd, nous avons pris contact avec les boulangeries en activité et nous avons pu établir une liste de gens qui nous ont promis d'assurer l'approvisionnement en pain durant ces deux jours, mais c'était sans compter sur l'ingéniosité des revendeurs informels responsables, quoiqu'en en partie, de la pénurie.» La baguette de pain s'est monnayée jusqu'à 50 DA par des petits trafiquants sans foi ni loi qui, pour maintenir la tension, n'ont pas hésité à laisser moisir la marchandise, fait visible dans plusieurs endroits. 35 boulangers sur 230 en activité durant cette période (la wilaya compte 460 détenteurs de registres du commerce ou de cartes d'artisan) ont répondu favorablement à l'appel. La liste était nominative et certains ont même subi un contrôle de la direction du commerce. Un avant-projet de loi pour réglementer l'activité commerciale en temps de fêtes a été soumis à l'appréciation du gouvernement, mais il faudra beaucoup de temps pour que cette initiative aboutisse. Le même responsable syndical indique que des solutions intermédiaires ont été proposées à l'échelle locale, à l'exemple de la promulgation d'un arrêté de wilaya (qui fera office de loi) devant toucher certains commerces comme les boulangeries, mais aussi, dans un premier temps, les superettes et les grandes surfaces qui ont vocation de proposer une très large gamme de produits de consommation. Selon la même source, Oran dispose de 65 000 commerces et quand tout le monde ferme, les effets s'en ressentent, d'autant qu'en général cela dure toute une semaine. Un boulanger pour 26 000 habitants à Aïn Defla L'Aïd El Fitr a été marqué, dans la wilaya de Aïn Defla, par des spectacles somme tout récurrents à pareille occasion, des pères de famille et des enfants cherchant désespérément une baguette de pain, un sachet de lait ou de l'eau minérale. Comme par enchantement, l'activité commerçante, la veille à son apogée, a laissé place durant les «trois jours de l'Aïd» au vide et à la désolation dans des villes et villages déjà paralysés par une forte canicule. A Khemis Miliana, pompeusement dénommée capitale économique de cette wilaya, le service minimum garanti était réduit à sa plus simple expression. A titre d'illustration, une seule boulangerie était ouverte dans le quartier Dardara qui compte à lui seul quelque 26 000 habitants. Un calvaire donc pour se procurer la fameuse baguette sous un soleil de plomb. Quant à la bouteille d'eau minérale, dont le prix a grimpé durant le mois de Ramadhan, celle-ci était quasiment introuvable durant les trois jours de l'Aïd. Même les cafés maures étaient fermés. Un scénario répétitif en dépit des appels lancés par les pouvoirs publics en direction des commerçants leur demandant d'assurer l'approvisionnement des citoyens en produits de consommation. D'aucuns ont dû recourir à quelques rares vendeurs de pain traditionnel ou à l'achat de semoule et farine pour confectionner à la hâte du pain maison, produit indispensable sur la table. A noter enfin que la fête de l'Aïd a été également marquée par des incendies de forêt et des accidents de la circulation qui ont endeuillé plusieurs familles.