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Rachid Boudjedra présente son dernière roman "Les figuiers de Barbarie" : « Je refuse de mélanger l'art et l'idéologie »
Publié dans El Watan le 21 - 04 - 2010

Le romancier Rachid Boudjedra estime qu'il ne peut pas donner de réponses sur l'histoire dans ses écrits littéraires. Il avoue ne pas aimer la littérature de Yasmina Khadra
Rachid Boudjedra refuse d'« idéologiser » l'histoire. Dans son dernier roman, Les Figuiers de Barbarie, qui vient de paraître en Algérie aux éditions Barzakh, après sa publication en France par les éditions Grasset, il se pose des questions sur l'assassinat de Abane Ramdane, sur les massacres de Melouza et sur l'opération « Bleuite », qui avait piégé le colonel Amirouche en 1958. « Je ne peux pas donner de réponses dans un roman, car cela reviendrait à trahir le système romanesque. Un roman doit bégayer. Nous n'avons pas le discours absolu », a-t-il expliqué lors d'un débat, lundi soir, à l'espace Noun à Alger. « Lorsque les historiens algériens feront leur deuil, ils écriront l'histoire comme cela été fait dans les pays qui ont connu la guerre. A eux d'apporter les réponses scientifiques et objectives », a-t-il ajouté.
Il n'est pas d'accord avec la démarche de Anouar Benmalek qui est revenu dans Rapt, son dernier roman, sur les massacres de Melouza et de Mechta Kasba, commis par l'ALN en mai 1957. « Mon idéologie politique me sert de garde-fou. Elle m'empêche d'aller vers l'absolu ou de prendre partie. Il faut relativiser les choses. Je suis communiste depuis l'âge de 17 ans, j'ai fait de la philosophie et des mathématiques. Anouar n'a fait que des mathématiques. Je refuse de mélanger l'art et l'idéologie. Le roman de Benmalek est idéologique et donne une vision pour ceux de l'autre côté », a observé l'auteur de Le Désordre des choses. Il a dit n'accorder aucun intérêt à ce que peuvent penser les Français. « Quand j'écris, je pense d'abord aux Algériens », a-t-il appuyé, regrettant que les romans algériens de ces dernières années ressemblent à des pamphlets.
« Quand la littérature s'empare de l'histoire, elle oublie la pâte, la vie humaine, l'égo, la psychanalyse... », a-t-il expliqué. « J'ai utilisé un mot qui n'existe pas dans la langue française, “les emmurades”. En plus d'enfumer les gens, le colonialisme a également emmuré les civils », a-t-il souligné. Selon lui, les fours crématoires avaient été utilisés d'abord en Algérie avant d'être mis en place par les nazis en Allemagne contre les juifs. « Les Français ne veulent pas admettre cette vérité », a-t-il dit. Il a rappelé une lettre du général Armand de Saint Arnaud (devenu maréchal de France) qui était à Constantine en 1836. « Il a écrit ceci : ''Nous avons enfumé aujourd'hui 642 renards dans une grotte”, a-t-il dit, relevant que le général Robert Bugeaud citait Saint Arnaud en exemple. Les excuses françaises ne m'intéressent pas. Je ne leur demande pas de se repentir. Nous les avons battus. C'est terminé ! Il y a une conscience française honnête », a-t-il relevé citant l'exemple du groupe des 121 et des « porteurs de valises ». Le romancier dit avoir été marqué par l'assassinat de Abane Ramdane, par la mort de Larbi Ben Mhidi et par l'exécution de l'ouvrier communiste, Fernand Iveton, en 1957.
« Roman du doute »
L'auteur de Fascination estime que la complexité de la guerre d'Algérie apparaît dans les détails. Comme l'histoire de Omar, raconté dans Les Figuiers de Barbarie, qui prend le maquis après le bac et dont le père est commissaire à Batna et le frère cadet activiste de l'OAS. « C'est un roman du doute et de la perplexité. Il n'y pas de réponses, il y a des situations. Ce n'est pas un roman sur l'histoire mais sur la vie, sur l'humanité des gens et leurs angoisses. Sur les ratages de l'indépendance. Ce qui m'intéresse, c' est d'émouvoir le lecteur, de lui donner du plaisir », a-t-il relevé, disant être obsédé par l'histoire du pays. « J'ai vu le sang des Algériens dans les rigoles en 1955. J'ai fait, pour une courte durée, le maquis et j'ai vu des horreurs au maquis. J'ai failli être violé par mon officier de zone », a-t-il confié.
Selon Sofiane Hadjadj des éditions Barzakh, qui a modéré le débat, le dernier roman de Rachid Boudjedra pose le problème de la violence fratricide sans jugement. « Le romancier ne fait pas le travail de l'historien, il a plus de liberté », a-t-il observé, regrettant que certaines vérités historiques demeurent toujours cachées. Rachid Boudjedra estime qu'on écrit toujours le même livre du fait qu'on est toujours la même personne.
« Depuis que j'ai pris conscience du monde, je n'ai pas changé. J'ai les mêmes fantasmes et les mêmes comportements », a dit l'auteur de La Vie à l'endroit. Il a remarqué que la critique ne pose jamais la question à un peintre sur le fait qu'il reproduit toujours le même tableau. Rachid Boudjedra a critiqué vivement le romancier Yasmina Khadra. « Je n'aime pas la littérature de Yasmina Khadra. C'est une littérature de loisirs. Il n'est pas un écrivain dans le sens noble du terme. Autrement dit, un écrivain qui pose des questions et qui s'angoisse », a-t-il dit. Il a ironisé sur le fait qu'il existe des écrivains de l'intérieur et des écrivains de l'extérieur.


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