Un terrain clôturé d'une enceinte blanche, avec des lignes tracées à la craie délimitant des rectangles au sol : c'est ici, au quartier Dahmane Slimani, que devraient être délocalisés les 1500 commerçants du «marché» de Boumati, à El Harrach (est d'Alger). «Il paraît qu'ils vont y ouvrir le marché après l'Aïd El Kebir, croit savoir un jeune adossé au mur face au chantier d'une sûreté urbaine. Mais il y a eu embrouille, des places ont été vendues en sous-main…». A l'APC d'El Harrach, les responsables ne sont pas accessibles pour clarifier la situation, alors que les vendeurs informels savent que l'opération d'éradication des marchés illégaux peut les toucher au plus tard après l'Aïd. Des cerbères municipaux, déguisés en agents de sécurité de l'APC, empêchent tout accès aux élus. D'ailleurs, la semaine dernière, des représentants des vendeurs de Boumati n'ont pas pu rencontrer le président de l'APC. «Nous ne sommes informés que par les journaux, s'emporte Halim, un des vendeurs installés à Boumati depuis sept ans. Nous savons seulement qu'une commission de l'APC est passée pour enregistrer nos noms afin de bénéficier d'un nouvel espace, pas plus.» Halim, devant son étal de chaussures de sport, ajoute que ce nouveau marché, prévu juste de l'autre côté de la rue squattée par des centaines de stands, devra accueillir exclusivement des «gens d'El Harrach». «Je dirais que les deux tiers des commerçants de Boumati viennent de loin, de Médéa pour certains.» Mais lui aussi est sceptique quant à la concrétisation de ce projet. «Des places ont déjà été vendues à 40 000 DA», accuse-t-il. «D'autant qu'un autre projet de marché, près de la route des Eucalyptus est restée bloqué», renchérit un autre vendeur de lampes de poche installé à même le trottoir. L'ancien projet se décline en dizaines de locaux fermés, le sol pollué par des eaux usées et des «propriétaires» hors d'eux. «J'ai acheté un local ici il y a quelques années avant de me rendre compte que celui-ci a été déjà vendu trois fois !», s'emporte un commerçant d'El Harrach-Centre. Des poubelles qui crament «Moi, je voudrais bien partir d'ici et avoir un espace de vente plus propre, souhaite Halim alors qu'une fumée nauséabonde se dégageait d'un tas de literie et de déchets derrière son étal. Mais il faudrait que les autorités soient claires avec nous : il nous faut un autre marché, un espace réglementaire.» Les autres à vouloir le départ de ces commerçants, ce sont les habitants de la cité AADL 116 Logements, à Boumati. «Qu'ils partent d'ici ! On n'en peut plus !», supplie presque Sid Ahmed. Des bâtiments neufs beiges et oranges, des espaces verts, des espaces de jeux, pas un détritus par terre : la cité clôturée contraste avec son environnement, défiguré par des stands sauvages et des labyrinthes suffocants d'allées bâchées. On y accède par une porte grillagée portant un écriteau : «Seuls les locataires ont accès à la cité». «Dès que vous dépassez cette porte, vous êtes dans un autre monde», poursuit Sid Ahmed, cadre dans l'administration, installé ici depuis trois ans. «Les vendeurs, par centaines, vivent au pied de la cité. On ne peut sortir en paix quand on est en famille, on respire la fumée de leurs poubelles qui crament sous nos balcons…», s'insurge Sid Ahmed qui accuse, dans la foulée, les autorités locales de «complicité», de «louer illégalement les espaces aux vendeurs informels». Entre-temps, Halim reçoit la visite de son fournisseur en chaussures de sport : un «frérot» en survêtement de marque, oreillette de téléphone portable pendante sur la poitrine. «Ecoute, j'ai un container de Reebok qui vient d'arriver, j'ai réservé deux étals pour les écouler et j'ai pensé à toi, lance en un débit rapide le fournisseur aux yeux soulignés au khôl. C'est une bonne affaire, je te fais un bon prix.»