Le marché de Boumaâti est l'un des plus grands d'Alger. Il compte environ 600 vendeurs, dont 50% ne sont pas originaires de la commune d'El Harrach. Cet espace commercial ressemble à un détail près à une décharge. Les «magasins» sont construits en matériaux hétéroclites et couverts de bâches. Des lignes interminables de boutiques, décorées de jeux de lumière pour attirer le regard des clients. La marchandise est accrochée devant chaque étal. Une guirlande traverse le marché de long en large, elle sert, selon l'un des vendeurs, «à éclairer le visiteur quand il rentre dans ce trou». Zakaria est vendeur de produits cosmétiques, il avait sa propre boutique en dur, juste en face de ce marché. Mais vu la concurrence déloyale pratiquée par les marchands du souk, il l'a abandonnée pour s'installer dans cet endroit. «Je gagne cinq fois plus qu'avant. En plus, je ne paye aucun impôt et aucune charge, sauf le salaire d'un jeune employé», nous fait-il savoir avec fierté. Son ancienne boutique est devenue aujourd'hui un restaurant spécialisé en m'hadjeb, une préparation culinaire traditionnel qui concurrence sérieusement la pizza. «Il n'y a que la bouffe qui marche dans ces magasins. La preuve, ils ont tous comme activité la restauration ou encore des cafeterias», précise-t-il. D'innombrables restaurants longent en effet la route délabrée qui mène vers le centre-ville d'El Harrach. La gare routière ou, du moins, ce que les habitants de Boumaâti appellent «l'arrêt», est un lieu bon à tout sauf à abriter des êtres humains. Car à l'intérieur même de cette gare, le même phénomène commence à prendre des proportions importantes. Les étals où l'on vend du thé, des confiseries et du tabac se comptent par dizaines. Les bus sont contraints parfois de s'arrêter sur la route, à sens unique, pour «ramasser» les voyageurs. «A l'intérieur de la gare, nous sommes chassés», renchérit un receveur. Les bonnes affaires Dans l'enceinte du marché, tout est vendu à bas prix. Une halte au niveau d'un commerce de vêtements, un jean de marque française, mais fabriqué en Chine bien entendu, est cédé à 700 DA, alors que le même avoisine les 1800 DA dans un autre espace. Comment font ces vendeurs pour pratiquer des prix aussi bas tout en réalisant des bénéfices ? Pour Réda, l'explication est simple : «Notre marchandise provient de Chine, mais nous ne le disons pas aux clients. De ce fait, un pantalon de ce genre revient à l'achat à 320 DA ! D'où notre gain. Mais, il faut dire aussi l'engouement des gens dans ce marché, la vie est chère, donc 200 DA de moins, c'est toujours bénéfique pour un père de famille». Ce marché labyrinthe génère des bénéfices énormes, selon notre interlocuteur, «au minimum nous comptabilisons 20 à 30 000 DA de recette par jour. Je vous laisse le soin de faire le calcul en multipliant ce chiffre par 600 boutiques». Enorme ! Des sommes qui passent, malheureusement, sous le nez du Trésor public. Les alentours du souk dégagent des odeurs pestilentielles à cause des tonnes d'ordures jetées par les indélicats commerçants. Des sachets d'emballage, des cartons vide ou remplis d'ordures, enfin un champ d'ordure à ciel ouvert s'est formé à l'entrée ouest de la ville. «Tous les chemins mènent à l'émeute» Abdelkrim Abzar, le maire d'El Harrach que nous avons sollicité nous a reçus dans son bureau. Il nous déclare d'emblée ceci : «Vous arrivez au bon moment. Justement, je voulais vous présenter le projet de la construction d'un marché de proximité qui va bénéficier aux jeunes chômeurs de la localité.» Pour le maire, ce projet est une solution définitive qui permettra d'éradiquer Boumaâti. «Nous allons, bientôt, construire un marché d'environ 400 étals. Le problème, c'est de savoir à qui attribuer les locaux. Car toutes les suppositions faites à ce sujet nous poussent à dire que tous les chemins mènent à l'émeute.» Le maire d'El Harrach dit qu'il est face à un problème insoluble : «J'ai reçu quelque 2000 demandes pour les 400 étals. Il faut savoir que ces 2 000 personnes n'activent pas dans l'actuel souk, mais ils font partie de ma localité. Il faudrait les introduire dans ce programme.» Il ajoute : «Les 600 jeunes déjà installés à Boumaâti ne seront pas tous servis. C'est une équation à plusieurs variables.» Concernant la réalisation de ce projet, M. Abzar est plus que rassuré : «Ce marché ouvrira ses portes dans moins d'une année, puisque l'enveloppe financière est prête, l'assiette aussi et même l'étude est achevée». S'agissant de la propreté du marché informel de Boumaâti, le P/APC rétorque «le service nettoyage de la mairie fait doublement son travail. Il passe plusieurs fois par jour, mais les gens négligent tellement l'aspect environnemental qu'ils jettent partout leurs ordures et à toute heure». Le premier magistrat de la localité est plus que jamais décidé à assainir la situation et à donner un coup de balai aux pratiques révolues pour donner ainsi à El Harrach un visage de «vraie cité». La police à El Harrach est loin d'être à la hauteur de la tâche qui lui est dévolue. Le vol y est devenu un sport local. Les services de la police lâchent ces jeunes aussitôt arrêtés. «Je n'ai rien à faire, le seul job que j'ai, c'est le vol, et puis la police nous craint et ne peux rien faire. Vous savez, en définitive, ils ont en marre de nous, toujours les mêmes, aâyaw mena (nous les fatiguons)», lâche ce jeune de 23 ans, rencontré non loin du siège de la mairie. Dans cette localité, les choses sont encore à l'arrêt, et ce, malgré les efforts de M. Abzar et son équipe. Mais comme le dit l'adage, «Une seule main ne peut applaudir». Pour cela, il faut la coordination de tous pour faire tomber l'étiquette qui colle à la localité. Car, dans l'imaginaire collectif, «El Harrach, c'est la ville des voleurs».