Yasmina Khadra refuse la polémique avec Rachid Boudjedra. Hier après-midi, il n'a pas voulu commenter les récentes déclarations de l'auteur du livre Les figuiers de Barbarie. «Je n'ai pas de commentaire à faire. Chacun est libre de dire ce qu'il pense. On n'est pas obligé de plaire à tout le monde. Je préfère écouter Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature, qui a dit des choses encourageantes pour moi. Ce sont ces gens-là qui m'orientent et qui me donnent une force, je dirais même rédemptrice», a déclaré Yasmina Khadra à la salle Moufdi Zakaria, au Palais des expositions des Pins maritimes, à la faveur du 17e Salon international du livre d'Alger (SILA). «Je ne suis qu'un romancier. Je ne suis pas dans la contrainte, je n'impose pas mes livres aux gens. Ce ne sont pas les politiques, mais les intellectuels, les chercheurs et les artistes qui aident les nations à s'émanciper. Je ne comprends pas cette attitude. De toutes les façons, je ne déteste personne. Ceci dit, ce n'est qu'une minorité qui m'attaque», a-t-il ajouté. Revenir en Algérie est, pour l'auteur de L'imposture des mots, une manière de se ressourcer. «Les Algériens ont évolué. Le livre est le véritable ami de l'homme. Ce n'est pas le chien, ni le cheval, ni le fusil. Je veux croire que je ne suis pas seul et qu'il y a un pays qui me soutient. L'écrivain fait le livre, mais ce sont les lecteurs qui font l'écrivain. Si je suis en bonne santé littéraire, c'est grâce à vous. Et si j'avance dans le tsunami des hostilités qui tourne autour de ma personne, c'est aussi grâce à vous», a estimé le romancier. A bout de nerfs Le film haineux anti-islam, Innocence of muslims, qui a provoqué un mouvement de colère dans le monde islamique, relève, d'après le romancier, d'une absurdité intenable. «Dans le monde musulman, les gens sont à bout de nerfs, ils se cherchent et ne se retrouvent nulle part. Certains profitent de cette vulnérabilité intellectuelle et idéologique pour faire n'importe quoi. Je ne suis pas d'accord avec ces initiatives malheureuses. Aucune personne sensée ne peut cautionner de telles dérives», a-t-il soutenu. Les peuples musulmans doivent, selon lui, faire preuve de maturité. «Qu'ils arrêtent de se faire manipuler et de réagir par la violence. Ce que nous avons à prouver au monde, il faut le faire par le travail, le talent et l'ambition. La violence est, pour moi, la faillite du bon sens. On devient violent lorsqu'on n'a pas l'argument de sa politique. Je ne supporte pas les agressions contre l'islam. Je les considère comme des agressions contre moi. Je préfère prouver au monde que nous avons la générosité, l'humanité et savons parler aux peuples. J'ai la chance d'être lu. Je rentabilise cela. Pour moi, le monde ne s'arrête pas aux frontières d'un pays. J'œuvre pour tout ce qui rapproche les cultures et les mentalités», a souligné l'auteur de L'Olympe des infortunes. A propos du film Ce que le jour doit à la nuit, inspiré de son roman, Yasmina Khadra a estimé qu'Alexandre Arcady, le réalisateur, est redevenu algérien grâce à cette fiction. Un peuple resté debout Le film a été projeté début septembre à Alger. «Arcady a fait un bon film. Il n'a jamais dit que son film était un hymne à l'Algérie d'hier. Il a arrêté toute cette paranoïa autour de la juiverie. Il a essayé de donner le meilleur de lui-même. Il n'a pas eu l'occasion de tourner en Algérie. J'ai accepté de lui céder les droits à la condition que le film se fasse en Algérie. J'avais besoin de faire découvrir un pays qui a été défiguré par l'intégrisme et que nous sommes un peuple ordinaire avec nos défauts et beaucoup de qualités (…) Un peuple, resté debout, qui essaie de se battre malgré l'éloge à la médiocrité et l'incompétence», a expliqué l'auteur de L'attentat qui s'est dit ravi d'avoir invité une cinquantaine de personnalités françaises, entre artistes et journalistes, pour l'avant-première algéroise de Ce que le jour doit à la nuit. «J'aurais voulu que les journalistes réagissent différemment et qu'ils exigent de tous les réalisateurs qu'ils fassent leur avant-première mondiale en Algérie. J'aurai voulu qu'ils écrivent dans leurs papiers la revendication ferme d'un retour du cinéma dans le pays», a-t-il déclaré. A propos d'un récent accrochage télévisé, sur un plateau de la chaîne privée française Paris Première, avec le chroniqueur Eric Zemmour sur la fiction d'Alexandre Arcady, Yasmina Khadra a révélé que le débat a été raccourci de 25 à 7 minutes. «C'est leur travail. Ils sont là pour faire l'audimat. Ils font le montage qui les arrange. Je crois avoir été assez correct. Chez nous, la seule façon de s'en sortir est d'être violent. Et être calme, chez eux. Je suis resté calme. Je suis venu pour parler d'un film. Et Eric Zemmour est connu pour son agressivité. Il ne fallait pas tomber dans son piège. J'ai dit ce qu'il fallait dire… Je suis souverain dans mon travail et dans ma littérature. Cela ne m'intéresse pas de me donner en spectacle (…) Je donne du rêve aux Algériens et à tous mes lecteurs dans le monde», a-t-il affirmé. Yasmina Khadra a annoncé que le film L'Attentat, adapté de son roman par les scénaristes français Loïc Dauvillier et Glen Chapron, sera sur les écrans américains en novembre prochain, en février 2013 pour la France. Et pour l'Algérie ? «J'aurais aimé que tous les films trouvent leur écho en Algérie. Malheureusement, nous avons un pouvoir qui n'est pas éclairé malgré la lumière que nous lui proposons. Ils ont peur de tout. Ils ont le sentiment de se remettre en question en permanence», a estimé l'auteur de A quoi rêvent les loups. Pour faire avancer les choses, les intellectuels doivent, selon lui, réapprendre à s'aimer, à créer des lobbies…