Parfums d'Alger, le nouveau long métrage de Rachid Benhadj, a été projeté en avant-première, jeudi, à la salle Ibn Zeydoun, à Alger. Le film revient sur les années de violence qu'a connues l'Algérie durant les années 1990 (voir El Watan Week-end), à travers l'histoire de Karima Bensadi (Monica Guerritore) qui vit à Paris et qui revient au pays. Elle y retrouve le passé et un pays défiguré par l'intégrisme et les abus en tous genres. Le père (Sid-Ahmed Agoumi) est à l'origine de tant de drames. «C'est un père dictateur qui tente d'imposer ses choix et ses idées, sans prendre en considération l'avis de ses enfants. Karima est là pour le remettre en cause. Il ne l'accepte pas et réagit par la force. Comme dans un jeu d'échecs, pour gagner, y arriver, il faut bloquer le roi, ‘‘Echeikh''. Dans ce qui se passe dans le Monde arabe actuellement, il y a cette symbolique. On essaye de mettre en échec le maître, le patron, le père de famille», a relevé Rachid Benhadj, lors du débat qui a suivi la projection-presse. Selon lui, la période actuelle est celle de la remise en cause de plusieurs politiques. «Nous sommes au stade des bilans (…). Après avoir tourné Touchia (en 1993, ndlr), j'ai voulu raconter ce qui s'est passé durant les années 1990. J'ai pris une famille en exemple, un père qui veut s'imposer à ses enfants et qui a de mauvaises relations avec ses frères», a-t-il affirmé. Le père (Sid-Ahmed Agoumi), dans Parfums d'Alger, est un ancien maquisard qui essaye de s'appuyer sur «la légitimité» historique. Né dans une famille riche, le fils Mourad (Adel Djafri) bascule dans le terrorisme et le fondamentalisme après un séjour en Afghanistan. «J'ai voulu casser ce cliché qui veut que l'intégrisme n'existe que chez les familles pauvres. Même les couches aisées ont en été touché. Economiquement, le père pouvait tout donner. Mais il a refusé de céder certaines libertés à ses enfants pour développer leurs idées. Automatiquement, il les a poussés vers les extrêmes. Quand une société ne donne pas des espaces de discussion, de liberté, elle encourage l'extrémisme», a analysé le cinéaste, en citant l'exemple des Brigades rouges en Italie. La liberté d'expression est, selon lui, une revendication de tous, riches ou pauvres. «Symboliquement, le père de Karima a le pouvoir. Un pouvoir qu'il applique sur sa famille et sur les autres», a-t-il noté. Interrogé sur le rajout à la fin du film de trois petites interviews de femmes (dont l'actuelle ministre de la Culture, Khalida Toumi) parlant de leurs droits, le cinéaste a précisé qu'il n'était pas obligé de le faire. «Je voulais revenir aux grandes manifestations des années 1990. Je voulais appuyer ma fiction par des témoignages vrais. Ce que disent ces femmes est intéressant. Il y a certes l'actuelle ministre de la Culture, mais à l'époque, elle était une militante. Je serais curieux de voir comment elle va réagir », a précisé Rachid Benhadj. Selon Ahmed Benaïssa, qui a interprété le rôle de l'oncle de Karima, ces interviews racontent des choses réelles. «Notre société est patriarcale. Elle veut imposer ses règles aux femmes», a-t-il soutenu. Revenant au long métrage, le cinéaste a relevé que le départ de Karima à Paris, où elle est devenue une photographe célèbre, signifiait une rupture avec la réalité (Karima est partie pour fuir son père). «Parfois, on rompt consciemment avec la réalité, y compris avec la langue. Karima est revenue parlant le français pour montrer à quel point le déchirement était très fort. Elle est obligée de plonger dans ses racines et dans sa mémoire. A l'étranger, elle a très bien réussi. J'évoque la femme, dans le film, parce qu'elle est le centre d'une société. C'est la femme qui transmet la mémoire et donne la vie. Ce sont les hommes qui font la guerre, tuent, pas les femmes. Les femmes subissent la stupidité des hommes», a souligné Rachid Benhadj. Il a estimé que le combat pour les droits doit se mener au pays, pas à l'étranger. «Karima est vieillissante. Elle revient en étrangère. Elle a perdu son algérianité. Elle fume devant sa mère (Chafia Boudraâ). Ce n'est pas le réflexe d'une Algérienne. Karima vit mal, cache son passé. Elle est étrangère là-bas, et doublement étrangère dans son pays. C'est un gros problème d'identité. Lorsque sa mère l'attire vers elle, elle reste froide, elle a perdu le côté humain. Elle a adopté le comportement des Occidentaux. Karima n'est pas un super héros, un personnage positif, même si elle s'est révoltée. Elle n'est rien sans son passé. On est fort que si on ne renie pas son passé. Karima a des trous de mémoire, comme si elle n'avait pas vécu les 20 ans éloignée du pays», a relevé le cinéaste, après une série de questions. Selon lui, les Occidentaux n'aiment pas qu'on aborde leur société, leur culture, dans les films du Sud. «Ils préfèrent que l'on n'évoque que nos malheurs. La guerre, le viol, tout cela c'est le Tiers-Monde, pour eux», a-t-il noté. A propos des images d'Alger, qui pouvaient être hors époque, puisque l'histoire de la fiction se déroule en 1998, Rachid Benhadj a indiqué qu'il voulait mettre en valeur une certaine modernité de l'Algérie. «J'ai choisi les plus beaux endroits d'Alger pour tourner. J'ai filmé le Tombeau de la chrétienne (à Tipasa, ndlr) pour montrer que l'Algérie a une longue histoire, une mémoire profonde. A l'étranger, certains pensent qu'Alger n'est pas une grande ville moderne, que le Jardin d'essai est en plein cœur de la capitale (…). Chacun peut interpréter une image comme il veut», a-t-il souligné. Rym Takoucht, qui a remplacé Isabelle Adjani dans le rôle de Samia, épouse de Mourad, et fille adoptive du père, a confié, lors du même débat, avoir vu sa propre souffrance à travers le film. «Dans le scénario, j'ai apprécié la rencontre des deux générations. Certains anciens combattants se sont enrichis, pris des villas, pourquoi s'en cacher», a-t-elle dit. Installé à Rome, Rachid Benhadj a réalisé plusieurs documentaires, courts et longs métrages comme Louss, roses de sables, en 1989, et L'arbre des destins suspendus, en 1997. Ce dernier film a été sélectionné à la Mostra de Venise.