Jeudi, début de soirée. Le peuple gnawi dégringole à travers les diagonales d'Alger vers la rue Dr Saâdane. Une rue coincée entre la direction générale des Douanes qui contrôle, entre autres, le port d'Icosium et l'escalier interdit à l'escalade du Palais du gouvernement. Le peuple gnawi assiège-t-il le Palais du gouvernement ? Non, c'est juste le public de la dernière soirée du festival Les nuits du gnawi, pilotée par Arts et Culture, qui s'amoncelle devant l'entrée de la salle Ibn Khaldoun. Au programme Mohamed Rouane et Ferda de Knadessa. Le guichet des tickets est fermé une heure avant le début du concert. « Ce sont presque les mêmes personnes qui assistent à ce genre de concert », fait-on remarquer. Le peuple gnawi a ses marques : pour la plupart jeune, arborant chèche et certains vont jusqu'à porter une djellaba et s'arment de qarqabou (qraqech, crotales). On vient en groupe. Etudiants. Amis. Filles et garçons. Objectif : se défouler, mais pas seulement. C'est aussi l'expression d'une marge qu'on investit. Car la mode gnawi et des chants et musiques du Sud semble s'intercaler entre deux déserts : un chaâbi, d'un côté, qui n'arrive pas à se réactualiser, qui semble ne pas avoir encore trouvé ses révolutionnaires comme El Anka ou Mahboub Bati, et le raï, écartelé entre le root's des cabarets et l'officialisation sur des plateaux télés aseptisés. Les musiques du Sud restent encore marginales, le gnawi sort à peine de son folklore utilitaire. C'est peut-être pour cela que ça marche. Parce que, globalisation et agonie de l'Etat-total oblige, le gnawi reste libre de l'utilitarisme central des pouvoirs publics. Car le gnawi, et Gnawa Diffusion l'illustre bien, reste substantiellement subversif. Avec pour seul séculaire référent, Sidi Bilal, le premier esclave libéré par le prophète Mohamed (QSSSL), le rite gnawi s'articule autour de la liberté : liberté rêvée des esclaves soudanais, liberté des corps de l'emprise des djinns. C'est peut-être aussi pour cela que ça marche chez ces jeunes assoiffés de liberté. De toutes les libertés. Hay !