Décidément, depuis les rejets français et néerlandais, l'année dernière par référendum, du projet de constitution européenne, les rencontres au sommet des 25 pays de l'Union européenne (UE) se suivent et se ressemblent. Tension politique entre certains pays, dialogue de sourds entre d'autres, déclarations péremptoires et répétition des mêmes généralités. Les 25 chefs d'Etat et de gouvernement réunis, jeudi après-midi et vendredi à Bruxelles, n'ont pas, c'est le moins que l'on puisse dire, insufflé un vent d'optimisme pour l'avenir de leurs concitoyens. Réunis pour consolider, essentiellement, la solidarité européenne en matière énergétique, ils se sont laissés aller aux égoïsmes nationaux, qu'il va falloir conjuguer aux intérêts de groupes financiers et industriels qui sont, eux par contre, de nature supranationale. Ainsi, l'Italien Silvio Berlusconi n'a pas trouvé mieux que de vouloir faire circuler, par l'intermédiaire de son ministre des Finances, une pétition sous forme de déclaration, par laquelle il « met en garde les Européens sur tout sentiment nationaliste », visant par là, l'initiative du gouvernement français de fusionner le groupe privé Suez au groupe public Gaz de France. Initiative qui, selon Berlusconi, rendra plus difficile (et non pas impossible) le projet d'OPA de l'italien Enel sur le groupe français Suez. Mais la « pétition » de l'Italie a été rejetée par des pays comme le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas et l'Espagne. Cette dernière a eu la même attitude que le gouvernement français, lorsque le groupe allemand E.ON a tenté une OPA sur l'espagnol Endesa, le mois dernier. Ce sommet, présidé par l'Autriche, a remis sur la table la vraie question de fond à laquelle est confrontée l'UE depuis les « non » au référendum sur le projet de constitution européenne, à savoir vers quel type de libéralisme économique se dirige l'Europe ? Y a-t-il un modèle économique et social qui fasse compromis entre les 25 Etats de l'union ? La France clame qu'elle est, selon le FMI, le pays le plus ouvert en Europe avec 42% d'actifs détenus par des investisseurs étrangers, contre 24% pour l'Allemagne, 36 % pour le Royaume-Uni et 13% pour l'Italie. Certains observateurs mettent ce « spectacle » livré par les premiers responsables européens à Bruxelles sur le compte des calculs politiques internes à chaque pays. Les échéances électorales, comme en Italie, en France, où les mouvements sociaux... ne laissent pas beaucoup de marge de manœuvre aux uns et aux autres. Et ce n'est pas tout. La crise énergétique provoquée par le différend gazier russo-ukrainien, en décembre dernier, n'est pas si loin. Elle a permis de mettre au jour la grande dépendance de l'UE en la matière. Jumelée à la hausse des prix des hydrocarbures, en particulier depuis l'invasion de l'Irak, la situation n'est pas pour faciliter un consensus européen pour une politique énergétique commune, sujet générique de ce sommet de Bruxelles. Diversifier les sources d'approvisionnement, encourager les énergies renouvelables, intensifier la recherche scientifique... sont autant de pistes que les responsables ont déjà proposées. Mais cela ne suffira pas à garantir tous les risques. il faut bien tenir compte du redéploiement géostratégique des grands ensembles économiques, comme ceux des USA, de la Russie, de l'Inde, de la Chine... pour comprendre que la bataille autour de la maîtrise et de la sécurité énergétique ne sont pas l'enjeu de la seule UE. Le rouleau compresseur de la mondialisation du système libéral ne laisse place à aucun sentiment national, aussi légitime soit-il.