L'islamophobie ne cesse de prendre de l'ampleur en France, notamment chez une certaine jeunesse en quête d'identité. Nourri par un discours politique anti-islam et anti-immigration, le sentiment de la peur de la communauté musulmane connaît des degrés alarmants. Pire encore, l'extrême droite passe de la parole à l'action. Ainsi, le groupuscule Génération Identitaire (GI), formé par des jeunes activistes du Bloc Identitaire (BI), a occupé la semaine dernière le chantier de la nouvelle Grande mosquée de Poitiers. Les 73 fanatiques de «la France aux Français» ont été aussitôt délocalisés par les forces de sécurité. Néanmoins, le message qu'ils voulaient envoyer est bien passé. Charles Martel ressuscité ! Malgré la condamnation de la classe politique française de cet acte qualifié par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, d'une «agression contre la République et ses valeurs», le groupuscule identitaire revendique le droit de défendre l'origine gauloise autochtone et la chrétienté de la France. En effet, les assaillants de la mosquée de Poitiers n'ont pas choisi leurs slogans et leur lieu d'activité «non déclarée» au hasard. Sur les vidéos et les photos qu'ils exhibent sur Internet, on peut repérer deux banderoles : «732» et «Construction de mosquée, Immigration, Référendum». Ils ont scandé également des slogans provocateurs, appelant à l'affrontement direct avec la communauté musulmane. «Gaulois, réveille-toi, pas de mosquée chez toi», «A Poitiers, ni kebab, ni mosquée», «2012 Poitiers nous sommes les héritiers», «Charles Martel, Charles Martel, Charles Martel», ont-ils hurlé de toutes leurs forces. A ce stade, il faut rappeler que la conquête musulmane de l'Europe menée par les Omeyyades s'est arrêtée aux frontières de Poitiers, lors de la bataille qui porte son nom ou chez les musulmans «Bataille du Pavé des martyrs», en 732, après la victoire des chrétiens, conduits par Charles Martel. Ce dernier a été honoré et élevé au rang de champion de la chrétienté. Conscient du jeu dangereux de ces identitaires extrémistes, le ministre français de l'Intérieur, Manuel Valls, prône la fermeté face «aux manifestations d'intolérance qui déchirent le pacte social». Il réfute ces «amalgames douteux dont procèdent leurs slogans» et réaffirme que «la République garantit à tous le libre exercice du culte dans le respect des règles de la laïcité.» La classe politique scandalisée Les représentants du culte musulman en France, le Parti socialiste, le Parti communiste, SOS-racisme, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), ont demandé tous la dissolution de GI. Selon nos dernières informations, le gouvernement français qui a étudié la possibilité de cette dissolution a renoncé faute d'arguments juridiques suffisants. Néanmoins, au regard de la loi Pleven (1972), une décision du président de la République, François Hollande, pourra conduire à la dissolution du mouvement. En même temps, plusieurs observateurs restent sceptiques quant à l'efficacité de cette solution, car le groupe peut se reconstituer sous un autre nom. Le groupe Génération Identitaire a été fondé en 2002 sur les cendres de l'association extrémiste Unité radicale, dissoute trois mois auparavant. On devrait, selon eux, se pencher plutôt sur la «responsabilisation» du discours politique qui alimente l'islamophobie comme celui du Front national et de la droite décomplexée menée par Jean-François Copé, candidat à la présidence de l'UMP. Ce dernier s'est distingué par ses sorties médiatiques polémiques en parlant d'un «racisme anti-blanc» et en racontant dans un meeting l'histoire d'un jeune qui se serait fait «arracher son pain au chocolat par des voyous qui lui font savoir qu'on ne mange pas durant le Ramadhan». Dans ce sens, le Mrap assure que les militants de GI «se sentent portés et légitimés par les vents mauvais qu'entraînent les déclarations xénophobes des responsables du Front national et de certains dirigeants de l'UMP.» De son côté, Jean-Luc Mélenchon dénonce «un franchissement de seuil dans la violence politique de l'extrême droite». Le leader du Front de Gauche, ex-candidat à la présidentielle française, a tiré à boulets rouges sur Marine Le Pen, présidente du FN qui «voudrait diviser les Français selon leurs religions». «Le Pen, qui voulait interdire les kippas et les foulards dans la rue, a été entendue. Dans la même veine, ses émules sont passées aux actes», a-t-il déclaré au journal Le Monde. La présidente du FN a déclaré sur RTL qu'elle était «atterrée par les réactions d'hystérie de la classe politique» et qu'elle «comprend les préoccupations quant à la construction de ces gigantesques mosquées», mais elle affirme qu'elle «ne partage pas ce mode d'action» de Génération Identitaire. Dans un message publié sur Youtube qui frôle le million de vues, les militants de GI déclarent : «Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère. (…). Notre seul héritage, c'est notre terre, notre sang, notre identité. (…) Ne vous méprenez pas : ce texte n'est pas un simple manifeste, c'est une déclaration de guerre». Croisade ou simple coup de pub ? Par ailleurs, plusieurs chercheurs, spécialistes de l'extrême droite européenne, minimisent le danger de GI qui a l'habitude d'organiser des coups médiatiques pour travestir l'échec de leur formation politique, Bloc Identitaire, à recruter des nouveaux militants. Le BI prépare son congrès qui se tiendra les 3 et 4 novembre 2012 à Orange (Région Provence-Alpes-Côte d'Azur). Pour rappel, les activistes de GI ont organisé plusieurs activités polémiques dans le but de ce qu'ils appellent «alerter contre l'islamisation de la France». Dans leur délire, en janvier 2009, ils ont réveillé un quartier de Bordeaux par le son du muezzin branché à un haut-parleur. En 2010, ils ont organisé des «apéros saucisson-pinard». En novembre 2011, ils ont rebaptisé plusieurs rues de Saint-Martin-le-Vinoux (Grenoble) avec des noms ironiques comme «Rue Halal», «Rue de la Burqua» ou encore «Rue de la Mosquée». Dernier acte en date, les Identitaires se sont opposés et ont empêché la venue du prédicateur islamiste, Hani Ramadan, à Mérignac (Bordeaux). Pour se féliciter, ils ont rebaptisé plusieurs plaques de rue par des soi-disant «pratiques et règles courantes dans les pays musulmans», comme «Avenue de la Lapidation» et «Avenue de l'Amputation».