Chaque élection locale est l'occasion pour les partis politiques de dépoussiérer des permanences sentant le moisi et de sortir des placards quelques vieux posters de leaders saluant la foule d'un geste messianique. Jeudi 15 novembre 2012. C'est le douzième jour de la campagne électorale, mais à travers une vallée de la Soummam qui n'en finit pas de se noyer dans les embouteillages, les marchands de fruits et légumes semblent avoir plus de chance à attirer le chaland que les candidats aux communales.De Tazmalt jusqu'à Amizour, les pommes de terre nouvelles ont bien plus de succès que les promesses de lendemains meilleurs, où les trottoirs seront refaits à neuf, les cités nettoyées de leurs montagnes d'immondices et les robinets plus jamais à sec. Pourtant, des listes siglées et colorées, aux titres ronflants à souhait, ont fleuri sur tous les panneaux d'affichage, sur les murs des cités, les capots des voitures et les eucalyptus qui persistent encore à échapper à la tronçonneuse des marchands de bois. Mais comme à l'accoutumée, les panneaux de signalisation routière ont été joyeusement vandalisés par ceux-là même qui promettent de faire appliquer l'ordre et la loi et remettre le civisme au goût du jour. Armés de vagues promesses et d'ambitieux plans d'action confectionnés comme un menu de restaurant, ils sont légion à partir à la conquête des mairies en ordre de bataille, la fleur au bout du fusil. Vue sous l'angle du nombre et de l'énergie déployée, la course au fauteuil de maire oscille entre la ruée vers l'or et la chasse au trésor. Chaque APC, même celle qui semble la moins séduisante, perdue sur une montagne pelée, est courtisée par de nombreux prétendants bien décidés à arracher de haute lutte le fameux trône. Cependant, l'enthousiasme des candidats rencontre rarement celui des électeurs. L'électeur est devenu un gibier difficile à chasser. Méfiant, dépité par les urnes et par les autres, revenu de tout, il s'arrête devant les panneaux d'affichage et scrute avec méfiance les listes de candidats. «Regardez-moi ça, les partis politiques sont devenus des vases communicants. Ces politiciens changent de couleur comme des caméléons. Ils passent du FFS au RCD puis au FLN ensuite au RND comme s'ils changeaient de chemise…» Ce commentaire acerbe est lâché par un homme, la quarantaine bien entamée, qui prend à témoin les nombreux curieux qui essaient tant mal que bien de démêler l'écheveau des listes de candidats. La scène se passe devant un panneau d'affichage à Tazmalt, un jour de marché. Le nomadisme politique a fini par décrédibiliser l'action politique, assimilée à du simple opportunisme et une bonne occasion de gravir l'échelle sociale. Assistance clairsemée En Kabylie, chaque élection locale est l'occasion de réveiller de vieilles rancœurs politiques, des rivalités claniques ataviques ou d'esquisser de nouvelles réalités sociologiques. Pour les partis politiques qui vont enfin sortir d'une longue hibernation, c'est l'occasion de dépoussiérer des permanences sentant le moisi et de sortir des placards quelques vieux posters de leaders saluant la foule d'un geste messianique. Les frontières politiques vont encore bouger d'un iota dans un jeu de chaises musicales. «Nous avons de bons échos de notre campagne, mais il faut avouer que c'est comme jouer au billard : ça peut partir dans n'importe quel sens», avoue un candidat du RCD rencontré dans un village de la haute Soummam. Jeudi en fin d'après-midi, dans une cité de la banlieue d'Akbou. Un candidat sur la liste APW aux couleurs du FFS s'égosille devant une assistance clairsemée composée de jeunes désœuvrés et de pères de famille qui n'ont rien trouvé de mieux pour tromper leur ennui. Khaled Tazaghart, député et responsable du parti, prend le relais devant le micro. Il a la voix enrouée à force d'enchaîner les meetings. En aparté, il nous dira que ses camarades et lui-même en sont à un rythme de trois à quatre meetings par jour à travers 51 des 52 communes que compte la wilaya et où le FFS présente des listes. Un véritable marathon électoral qui exige une endurance d'athlète. «Dès qu'on termine ici, on se rend à Sidi Ali puis à Amalou», précise-t-il. En dehors des grosses cylindrées politiques habituées aux grandes batailles électorales, les petits partis et les listes indépendantes peinent à se faire une place au soleil et à se faire entendre. Pour faire prendre la mayonnaise électorale, les candidats et leurs états-majors recourent à des techniques aussi éculées que désuètes. Comme, par exemple, former un cortège de voitures sur lesquelles on a collé affiches, drapeaux et fanions et sillonner les rues dans un joyeux tintamarre, en klaxonnant à tue-tête. Il reste à espérer que cet enthousiasme surfait ait un effet d'entraînement mais, en vérité, on mobilise rarement au-delà du cercle familial ou de la périphérie de son propre quartier. Malgré tout, au bout de deux semaines de léthargie, la scène politique commence à connaître ses premiers frémissements. A force de s'agiter dans tous les sens, les candidats arrivent à combler le vide culturel pour enfin à capter l'attention d'une assistance marquée à la culotte. Il reste à espérer qu'il y aura autant d'électeurs que de candidats.